Le peuple crucifié, Ignacio Ellacuria

Recension initialement parue dans la revue Etudes.

La publication en français d’un ouvrage rassemblant plusieurs articles publiés par Ignacio Ellacuría est une première. La récente canonisation de Mgr Óscar Romero aura contribué à ce que sorte de l’ombre ce théologien jésuite, assassiné en 1989 au Salvador. Certains des articles du recueil, rédigés pour la plupart dans l’Amérique latine des années 1970, soulèvent des problématiques qui semblent en décalage avec notre contexte actuel : dans une Europe sécularisée où les communautés chrétiennes sont marquées par une surreprésentation, en leur sein, des classes bourgeoises, y a-t-il encore un sens à recourir à l’image du « peuple crucifié » pour qualifier notre expérience collective ? Si l’on peut en douter, il n’en reste pas moins que d’autres articles du recueil gardent, près de cinquante après leur publication et cinq ans après la parution de Laudato sí, une remarquable actualité. Dans « Historicité du salut chrétien », Ellacuría prolonge les intuitions de Karl Rahner (dont il a été l’élève) et rappelle qu’en christianisme, l’Histoire est le « lieu privilégié de la manifestation et de l’autodonation de Dieu ». La prendre au sérieux implique alors d’élucider le jeu des médiations sociales qui structurent la vie en commun, et de dénoncer toutes les formes d’oppression humaine qui font obstacle à l’édification du Royaume. En rappelant que la foi chrétienne invite chacun à « prendre corps » dans l’Histoire à la suite de Jésus, Ellacuría montre que la théologie de la libération a su se déployer avec une grande exigence – et qu’elle recèle pour les chrétiens d’aujourd’hui des ressources inestimables, qu’il leur appartient désormais de faire fructifier.

Pierre-Louis Choquet

On notera une autre recension de qualité sur le site la Nouvelle revue théologique, réalisée par François Odinet.