Cette semaine je suis allé à Paris, j’ai vu sur les trottoirs des entassements de poubelles, débordantes. M’est revenu à l’esprit la première phrase du Capital de Karl Marx décrivant nos sociétés comme une « gigantesque accumulation de marchandises ». Et j’ai trouvé ces ordures belles.
Dans ce livre, Marx décrit la manière dont s’organise un fétichisme nous faisant croire que le monde n’est réellement que cela : un étalage de biens disponibles à l’achat dans des rayons de supermarchés, une accumulation de marchandises toutes plus reluisantes les unes que les autres sous la clarté de nos néons. Et de fait, pour nous tous, quotidiennement, le monde est un marché : vendre sa force de travail contre un salaire, acheter des spaghetti ou un A/R lowcoast pour Barcelone, etc. Nous y croyons, nous vivons dans « la gigantesque accumulation de marchandises ».
Il y a bien un certain François, à Rome, qui s’égosille depuis un moment pour nous dire que non, que notre société repose en réalité sur une « culture du déchets ». Mais, comme dirait l’autre, on ne lutte pas contre un ordre du monde avec des phrases. Grâce aux éboueurs en grève, la chose est maintenant devant notre nez, impossible de mettre à pied sur le trottoir sans y faire face : notre monde est une « gigantesque accumulation de déchets ». L’occultation de la vérité sur laquelle repose le déroulement normal de l’économie est rompue. Le voile s’est déchiré. L’économie est cet ordre du monde qui fait de toute chose, nous y compris, un déchet. Notre monde pue.
Pourtant, c’est beau. C’est beau parce que c’est vrai. Contrairement aux marchandises, les sacs d’ordures crevés par les rats et les chats ne mentent pas. Je me sens proche d’eux, de l’humus auquel nous retournerons ensemble. Leur décomposition sous nos yeux signifie plus que tout le clinquant d’un Monop’ flambant neuf. Arrivant à Paris, j’ai eu le sourire. Pour une fois, je m’y suis senti chez moi.
Benoît SIBILLE