Il faut partir d’un constat, celui de la discrétion, pour ne pas dire le silence, des catholiques français dans le soutien au peuple palestinien. Pourtant l’exemple récent de la guerre en Ukraine a montré leur capacité de mobilisation pour la dignité des peuples et contre l’occupation des territoires par une puissance étrangère. Dès lors, comment expliquer ce silence ? Peut-être parce que la cause palestinienne est portée depuis les années 80 par la gauche anticolonialiste, tandis que la droite catholique a centré son combat sur la défense des chrétiens d’Orient; ou bien parce que l’héritage judéo-chrétien rend difficile la critique du sionisme, sans parler de la mémoire de la Shoah qui demeure très présente dans nos sociétés. Enfin peut-être à cause du malaise causé par la récupération croissante par un certain islam politique de la résistance palestinienne.
Ce silence se manifeste dans le refus même du mot « Palestine » auquel on préfère le terme englobant de « Terre sainte ». Derrière cette question de vocabulaire se cache la réalité de pèlerinages qui tentent pour beaucoup de contourner la question. Combien de pèlerins vont à Bethléem sans même voir le mur ? Combien visitent Jérusalem sans savoir que les quartiers est de la ville, habités par des populations arabes, sont la proie d’une colonisation effrénée, de spoliations quotidiennes par les autorités israéliennes ? Est-il possible de partir sur les traces du Christ et des lieux de l’histoire sainte, sans regarder le visage du Christ souffrant dans le peuple palestinien ?
Pourtant, en tant que chrétiens, nous avons de nombreuses raisons de nous sentir concernés par l’occupation de la Palestine. La dignité de chaque homme est au cœur du message de l’Evangile. Le chrétien doit s’indigner de l’annexion de Jérusalem est et de la Cisjordanie ; de la multiplication des colonies dans ces territoires ; des exactions commises de manière répétée par les colons à l’encontre des Palestiniens ; de la situation humanitaire dramatique de Gaza liée à la situation de blocus ; de la construction du mur ; de la discrimination dont souffrent les populations arabes vivant en Israël ; du sort des réfugiés; de l’absence de perspectives d’avenir et d’espoir pour la jeunesse palestinienne.
En 2010, les Eglises de Palestine, réunies au sein du mouvement œcuménique Kairos Palestine, ont adressé un appel aux chrétiens du monde entier, rappelant que l’occupation concerne l’Église et par extension toute la communauté des fidèles. Le document rappelle la vocation universelle de la Terre sainte : « la promesse faite par Dieu au peuple juif ne comporte de forme d’exclusivité ni théologique ni, moins encore, territoriale ». Cette position va dans le même sens de celle du Saint Siège, qui, s’il comprend et respecte l’importance du rattachement à la terre des Pères pour les juifs du monde entier, rappelle néanmoins que « l’ambition du dialogue religieux et le respect pour le peuple hébreu et son histoire doivent être tenus bien distincts de l’ambition politique » (Déclaration du directeur de la salle de presse du Saint Siège du 25 janvier 1991 relative à Israël). Dès lors il va à l’encontre du sionisme chrétien, particulièrement présent aux Etats-Unis, qui considère la création de l’Etat d’Israël en accord avec les prophéties bibliques annonçant le retour du Christ.
Ainsi, l’existence de l’État d’Israël ne doit pas être considérée dans une perspective purement religieuse, mais en référence aux principes du droit international. Lequel ne cesse pourtant d’être bafoué par l’Etat hébreu. Les Conventions de Genève rappellent clairement que la colonisation, à savoir l’implantation de civils dans un territoire occupé, est illégale; que les prisonniers ne doivent pas être détenus en dehors des zones occupées ; que les réfugiés ont le droit de rentrer chez eux ou d’obtenir une compensation financière; et que les attaques contre des civils, qu’elles proviennent de forces armées ou d’attentats terroristes, sont des crimes de guerre. Autant de droits que l’Etat hébreu enfreint quotidiennement en toute impunité. Rappelons également que la Cour Internationale de Justice a estimé en juillet 2004 dans un avis consultatif, que la construction du mur est illégale et porte atteinte au droit international. Evoquons enfin le blocus de Gaza qui, en tant que sanction collective imposée à la population civile pour des actes dont elle ne porte aucune responsabilité, est une violation du droit international humanitaire.
Dès lors il convient de nous interroger sur ce « deux poids deux mesures ». Il apparaît clairement que les chrétiens ont peur de prendre parti pour l’un des deux peuples, de se retrouver dans le camp « pro-palestinien », trop souvent associé à la gauche radicale voire à l’intégrisme musulman. Mais une autre voie consiste simplement à s’engager en faveur de la paix. Or, la paix sans la justice est une imposture, comme ne l’a que trop montré l’échec du processus de paix de 1993-1995.
Demander plus de justice pour le peuple palestinien est donc une nécessité. L’aide humanitaire apportée depuis plusieurs décennies par des organisations chrétiennes se révèle insuffisante. Tous les domaines de la vie des Palestiniens sont gravement affectés par l’occupation, à savoir la production, le commerce, les déplacements, l’éducation, le travail ou l’accès au soin. Les associations palestiniennes n’attendent pas seulement des Européens de l’aide humanitaire, mais un investissement politique plus fort pour desserrer l’étau de la colonisation en Cisjordanie et le blocus de Gaza.
Dès lors, comment agir ?
Tout d’abord, informons-nous. Ne nous défilons pas derrière la complexité réelle de la situation, mais prenons le temps de lire et cherchons à comprendre.
Mobilisons-nous en rejoignant les réseaux de solidarité, et en plaidant auprès de nos représentants afin de sanctionner les violations du droit international, qui se sont multipliées dernièrement de manière alarmante.
Pèlerinons autrement : associons les pierres des sanctuaires aux pierres vivantes que sont les chrétiens vivant en Israël et Palestine. Mettons la rencontre et l’écoute de la population locale au cœur du voyage. N’oublions pas la visite des lieux clés du conflit et de la résistance (camps de réfugiés, checkpoints, communautés menacées de démolition ou entourées par le mur) ; contribuons au développement de l’économie locale et au secteur touristique de Cisjordanie en achetant les produits artisanaux palestiniens.
Enfin, prions. Prions pour que les peuples palestiniens et israéliens puissent trouver la dignité et la sécurité auxquelles ils aspirent. Et pour que la paix advienne dans cette région du monde, grâce à la justice et au pardon.
Adélaïde Royal*
* Présentation de l’autrice par-elle-même : « Rentrée depuis quelques mois de Palestine où j’ai vécu un an comme volontaire avec la DCC (Délégation catholique pour la coopération), en plus d’être passionnée par l’histoire de cette terre à laquelle j’ai consacré mon master de recherche en histoire, j’ai désormais à coeur d’oeuvrer à faire connaître la situation en France et m’engager contre les injustices commises. »