Sermon du bon larron, Antonio Vieira

« Finissons par avoir la foi et croire qu’il y a un Enfer, finissons par comprendre que personne ne peut se sauver sans restituer. »

Biographie :

Il est urgent de (re)découvrir Antonio Vieira, prêtre jésuite portugais du XVIIème siècle. Plus précisément, sa vie s’étend de 1608 à 1697. Reconnu de son vivant comme un grand écrivain et un immense prédicateur (son œuvre est avant tout composé de ses sermons), il prend des positions courageuses pour la défense des peuples indigènes du Brésil, pays dans lequel il a vécu durant plusieurs années. Sa critique de l’esclavage et de l’Inquisition seront proches de lui coûter la vie.

Chronologie :

1608 : naissance à Lisbonne.

1614 : rejoint son père à Bahia (Brésil).

1623 : entre au noviciat des jésuites.

1633 : premier sermon à Bahia.

1634 : ordination sacerdotale.

1642-1652 : prédicateur à Lisbonne, il est repéré par le roi di Portugal et assure diverses missions diplomatiques.

1652 : insurrection des colons brésiliens contre les jésuites.

1653 : retourne au Brésil et défend les Indiens.

1662 : triomphe des colons sur les jésuites. 

1663 : les jésuites sont autorisés à revenir au Brésil mais non pas Vieira, qui est exilé.

1665-1668 : prisonnier de l’Inquisition, il est condamné puis amnistié. 

1675 : placé hors juridiction inquisitoriale par le pape qui reconnaît sa puissance spirituelle.

1694 : derniers combats en faveur des Indiens.

Lecture suivie du Sermon du bon larron, œuvre datée de 1655 :

La thèse originale et radicale défendue par Vieira dans ce sermon est la suivante : « Il ne peut y avoir de salut sans la restitution du bien d’autrui. » Il se réfère à saint Thomas (citant lui-même saint Augustin) : « Si le bien d’autrui que l’on a pris, ou que l’on retient, peut être restitué, alors la pénitence de ce péché et des autres n’est pas vraie pénitence, sinon simulée et feinte, parce que le péché n’est pas pardonné tant que n’est pas restitué ce qui a été volé, si celui qui l’a volé peut le restituer. » On perçoit déjà à quelles mesures révolutionnaires pourraient conduire la prise au sérieux de telles idées, par exemple sur la question de la réparation (non seulement symbolique mais aussi économique) à l’égard des populations descendantes d’esclaves ou sur la question de la restitution des œuvres d’art volées aux pays colonisés. 

Il y a deux types de voleurs aux yeux de Dieu : ceux qui ont volé par nécessité et qui n’ont pas de quoi rendre le bien volé. À ceux-là est accordé le salut (cf. Proverbes, VI, 30 : « On ne méprise pas le voleur qui vole pour se remplir le gosier quand il a faim. ») Ceux qui ont volé, qui ont de quoi restituer le bien volé mais qui ne le restituent pas. Ceux-là ont gravement violé la loi de Dieu. Leur demande de pardon aurait eu du sens s’ils avaient préalablement rendu ce qu’ils avaient volé. Leur salut est donc compromis. Dans cette catégorie, on comprend que Vieira range les rois, les puissances temporelles, notamment les puissances politico-économiques qui, sous ses yeux, pillent et ravagent les terres des Indiens du Brésil, réduisant ceux-ci à l’état d’esclaves et les massacrant en cas de révolte. Vieira est très explicite dans sa prise de position : « La restitution du bien d’autrui, condition du salut, oblige non seulement les sujets et les particuliers, mais aussi les sceptres et les couronnes. Certains princes croient, ou doivent croire, qu’étant au-dessus de tout, ils sont aussi les seigneurs de tout, mais ils se trompent. La loi de la restitution est loi naturelle et loi divine. »

Dans les faits, les voleurs politiques sont souvent fêtés alors que les voleurs par nécessité sont souvent réprimés : « Combien de fois n’a-t-on pas vu, à Rome, se faire prendre un voleur pour avoir dérobé un mouton et le même jour être porté en triomphe un empereur pour avoir conquis tout une province ! »

À l’appui de sa réflexion sur la restitution comme condition du salut, Vieira cite l’épisode du riche publicain Zachée (Évangile de Luc, chapitre XIX) et souligne que Jésus donne à Zachée la promesse du salut une fois seulement que ce dernier affirme qu’il restituera au quadruple les biens mal acquis (Luc, XIX, 8). La loi de la restitution s’appuie selon Vieira sur deux vérités : l’égalité entre les hommes, qui implique une juste distribution des biens entre eux tous ; la supériorité de Dieu sur tous les hommes, princes compris, ce qui implique que les chefs politiques ne sont pas propriétaires des richesses et du pouvoir qu’ils exercent mais garants du bien commun. 

Les rois doivent répondre des actes commis en leur nom par des fonctionnaires qu’ils ont mis en place. « Partout dans le monde, on peut vérifier ce qu’Isaïe dit des princes de Jérusalem : tes princes sont les compagnons des voleurs. Ils les couvrent, les tolèrent, leur donnent charge et pouvoir, les défendent. » Voler, faire voler à sa place ou laisser voler sont synonymes. Les maillons du pouvoir sont moralement solidaires les uns des autres et c’est au pouvoir supérieur, ici royal, de répondre des actes de tous les pouvoirs placés sous sa coupe. Cette réflexion est décisive dans le contexte de la colonisation portugaise, où les envoyés du pouvoir sont peu encadrés. Le concept de solidarité morale est un moyen pour l’auteur de contrecarrer le pillage systémique du Brésil. Vieira conteste l’idée qu’on ferait face à des excès exceptionnels ou à des faillites individuelles sur un fond de pouvoir légitime. Au contraire, c’est l’entreprise coloniale dans son ensemble, dans sa logique même d’appropriation des terres et des hommes, qui est illégitime. « Par-delà le cap de Bonne Espérance et en-deçà, le verbe piller est conjugué à tous les modes. »

Que doivent faire les rois ? Ils doivent exiger des voleurs restitution des biens mal acquis et ils doivent eux-mêmes s’interdire tout pillage. « Peut-il y avoir une action plus juste, plus utile et plus nécessaire à tous ? » La restitution recouvre des lois et des politiques très concrètes. « Qui a pris le bien d’autrui se trouve dans l’obligation de satisfaire à deux choses : à la peine infligée par la loi, et à la restitution de ce qu’il a pris. Le roi, en tant que législateur, peut dispenser de la peine ; il ne le peut concernant la restitution car elle est indispensable. Et c’est tout le contraire qui est fait, même quand on fait ou pense faire justice en exécutant seulement la peine ou une partie de la peine, sans se souvenir, ni faire cas de la restitution. » La restitution matérielle prime la condamnation morale et même judiciaire. 

Empêcher le vol, c’est le moyen, pour les rois, d’obtenir le salut et celui des voleurs. Le critère de légitimité du pouvoir politique est donc le bien commun, c’est à dire la garantie de toutes les conditions matérielles et spirituelles permettant aux hommes d’atteindre la vie heureuse. La Doctrine sociale de l’Eglise catholique conservera et déploiera ce concept de bien commun.