De la domination à la fraternité sublime avec toute la création 

L’auteur : Sylvain Mansart est un jeune prêtre encardiné au diocèse d’Amiens. Inspiré par la spiritualité franciscaine, il l’est aussi par ses années de service aussi bien au Burkina Faso avant son ordination, ou par les paroisses rurales de son diocèse depuis.

Une superbe porte d’entrée pour découvrir l’écologie intégrale à travers la profondeur de la pensée franciscaine et de celle du Pape François : c’est ce que nous propose Sylvain Mansart dans cet ouvrage « De la domination à la fraternité sublime avec toute la création : Une vision franciscaine de l’écologie intégrale à partir de Laudato si[1] ».

            En réalité, Sylvain nous fait naviguer entre les encycliques, Laudato Si en tête, et de grands auteurs incontournables sur ces questions que peuvent être l’historien américain Lynn White, le théologien italo-allemand Guardini ou encore Elena Lasida et son tryptique « tout est lié, tout est donné, tout est fragile ». Basé sur une entente entre foi et raison, ce texte nous propose un élargissement de la notion de fraternité, un élargissement de la notion de « prochain », bref : un élargissement de notre foi. 

            L’ouvrage débute par plusieurs constats : le constat scientifique qu’il convient toujours de rappeler ainsi que celui rappelé par Laudato Si à longueurs de pages : les plus pauvres sont les premières victimes de cette crise écologique alors qu’ils en sont les moins responsables. Mais pour répondre à cela, il ne conviendra pas seulement de réduire nos émissions de gaz à effet de serre nous dit l’auteur, mais bien d’entrer dans de nouvelles relations avec l’entièreté du Vivant. Reprenant le théologien Fabien Révol, Sylvain Mansart développe son propos au sein de ce « tétraèdre relationnel » qu’est celui nous encourageant à avoir d’égales et saines relations avec soi-même, les autres, le Vivant et Dieu (ou une transcendance si vous n’êtes pas croyant.e). 

            Cette fine étude théologique cherche à nous faire sortir, ici, de toutes les logiques de domination. Pour cela, Sylvain Mansart donne plusieurs pistes sourcées parmi lesquelles : 

  • Analyser autrement pour mieux comprendre le récit du Jardin d’Eden dans la Genèse (Gn 1,28 jusque Genèse 3) pour sortir d’une « lecture despotique » pour une lecture amenant à une relation « d’intendance et de fraternité envers la Création ». 
  • Réinterroger notre rapport au Vivant et particulièrement à l’animal. 
  • Choisir sciemment la pauvreté pour vivre pleinement une nouvelle fraternité universelle. 

Citant Saint François d’Assise comme l’exemple à suivre par excellence, Sylvain nous amène à chercher un chemin personnel conjuguant dans tous les aspects de notre vie, un équilibre d’amour « entre force et tendresse » seul chemin pour sortir d’un rapport « utilitariste » dans nos diverses relations. qui invite à voir la fraternité universelle aussi comme une manière de lutter pour la justice et de prendre soin de toutes les fragilités de la terre » car « parmi les plus pauvres, il y a notre terre opprimée et dévastée qui gémit » (§LS 2). Son approche inclut une volonté de « sortir du romantisme » concernant François d’Assise : il ne s’agit pas, souvent sous couvert humoristique, d’héler sœur « poule » ou frère « chien » mais bien d’entrer dans une relation d’amour avec le Vivant, avec tous les opprimés, car comme l’explicite Saint Bonaventure « tout ce qui est vit sur Terre est vestige d’amour du mystère Trinitaire ». Ce propos s’illustre par « le cantique de frère Soleil » : comment serait-ce enfantin lorsque l’on sait que l’aboutissement de ce poème, où le nom de Dieu n’est pas prononcé mais où sa Présence est partout, est de bénir « notre Sœur la Mort corporelle » ? 

            Le prêtre samarien dresse aussi un « plaidoyer pour une éco-théologie de la libération » à partir de la pensée de Léonard Boff qui permet de penser « Un lien de fraternité, d’attention aimante, d’écoute mutuelle et de libération, Boff présente le Saint comme une homme libéré, libérateur et libre ». Cet ouvrage ne se limite pas donc aux constats, mais esquisse un chemin pour devenir pleinement libre à travers un changement de regard sur tous les êtres vivants : Impossible de songer que ce changement de regard puisé dans la théologie, ne puisse avoir de grandes conséquences politiques s’il était plus largement partagé. 

            Ce court ouvrage développe pourtant longuement des pistes permettant de vivre la spiritualité franciscaine, la fraternité franciscaine : Elle suppose trois conditions : « le refus de la domination, le refus de la mise en catégories, et enfin l’empathie, qui va de pair avec la solidarité et la compassion. » Au contraire, il explicite l’importance du lavement des pieds (Jean 13) ou de la Kénose (2 Phi 6-11) littéralement « Kenoun » se vider. Cela se traduit par 4 types de fraternité :  

  • La fraternité déjà présente, signe de l’interdépendance entre les créatures         
  • La fraternité universelle, un style de vie intégral pour sortir d’une crise globale   
  • La fraternité sublime avec toute la création pour tendre vers une communion universelle
  • Une Fraternité universelle et chantier d’avenir : vers une église-fraternité et synodale

Toutefois, si tout cela peut apparaître très exigeant, et ça l’est, Sylvain rappelle que le grand fruit que récolte celui ou celle qui s’engage dans cette voie est la joie, fruit de l’Esprit Saint (Ga 5). Quel beau chantier qui attend celui ou celle qui s’attèle à cette fraternité universelle. 

Si nous pourrions regretter que cet ouvrage ne développe pas sur Fratelli Tutti ou l’exhortation apostolique de 2019, Querida Amazonia, il se clôt toutefois sur cette citation résumant l’ouvrage : « Nous tous, chrétiens, nous sommes unis dans la foi en Dieu le Père (…) en Jésus-Christ, (…) dans le feu de l’Esprit qui nous pousse à lamission. Nous sommes unis dans (…) la recherche d’une civilisation de l’amour, la passion pour le Royaume que le Seigneur nous appelle à construire avec lui. Nous sommes unis dans la lutte pour la paix et la justice. Nous sommes unis dans la conviction que tout ne s’achève pas dans cette vie, mais nous sommes appelés à la fête céleste où Dieu sèchera toutes les larmes et reconnaîtra ce que nous avons fait pour ceux qui souffrent. Nous sommes unis par tout cela. Comment ne pas lutter ensemble ? Comment ne pas prier ensemble et travailler côte à côte pour défendre les pauvres [du monde] pour montrer la sainte face du Seigneur et pour prendre soin de sa création » ? (Q.A 109-110)

Adrien Louandre


[1] Edité en 2022 chez Parole et Silence. Il s’agit à l’origine d’un mémoire de master de théologie sous la direction de Grégoire Catta, sj.