Le règne de l’argent exerce une violence sans nom contre les pauvres et contre la terre. Leurs cris devraient percer nos tympans. La situation est telle qu’il nous faut même défendre l’eau – à Sainte-Soline comme dans chaque commune où l’eau est privatisée et polluée. Cette chose si simple et gratuite, « sœur eau, précieuse, chaste et pure » disait François d’Assise. Cette sœur est accaparée, privatisée, polluée, volée, violée. L’argent est un maître jaloux, de tout il fait des marchandises. Pendant ce temps, l’enfant, le semi du potager et l’oiseau de nos rebords de fenêtre absorbent des taux de nitrate anormaux à chaque gorgée d’eau. À cet empoisonnement silencieux s’ajoute maintenant la violence bruyante d’un État venant en renfort des accapareurs : les camions de CRS sont là pour défendre la règne des marchandises.
Nous avons à choisir, lutter avec l’enfant, le semi et l’oiseau ou nous soumettre à la loi de l’accaparement et à ses gardes.
Sœur eau, que nous te soyons fidèle. Comment nous demandes-tu de lutter ? « Précieuse, chaste et pure » disait François. Oui, mais aussi tumultueuse et indomptable. Eau qui sourd en secret, eau qui gronde en torrent. Avec toi, à ta manière, nous voudrions défendre l’enfant, le jeune plant et l’oiseau. Comme un mur tu te dressas pour empêcher Pharaon et son armée de maintenir le peuple hébreux sous son joug. Comme une source tu abreuvas ton peuple au désert. Sœur eau, dis-nous quoi faire. Et toi le Messie, toi qui t’es fait le frère de toute la création, de l’eau, de l’enfant, de la semence qui germe et de l’oiseau, dis-nous.
Se replonger dans les écrits des chrétiens qui ont eut, avant nous, à penser la réponse à la violence, c’est-à-dire la révolution. La théologie la plus traditionnelle elle-même envisage, sous le nom de « question du tyrannicide », les cas où il devient légitime de tuer le roi. Quand l’ordre est désordre, quand l’autorité est oppression, … Helder Camara qui disait, lui, préférer être tué que tuer, ne condamnait pas pour autant Camilo Torrès, ce prêtre qui avait rejoint la guérilla armée. Beaucoup déjà sont morts pour s’être faits les frères et les sœurs des pauvres, de la forêt, des terres agricoles, des sources, des montagnes. Jusqu’à quand Seigneur ? Préférer être tué que de tuer, certes mais les autres ? Du sein des luttes, on nous interpelle : pendant que nous faisons les pacifistes l’eau, les enfants, les jeunes pousses et les oiseaux se meurent. L’envie de répondre à la violence par une « violence proportionnée » comme ils disent n’est pas loin.
On ne s’empressera pas à faire la morale à ceux qui lancent un cocktail Molotov sur un camion de CRS. On rejoindra volontiers ceux qui sabotent les infrastructures assurant l’exploitation de la terre et des hommes, fauchent les OGM, etc. Notre sœur l’eau sait se faire puissante, la nuit de Pâque elle a englouti « cheval et cavalier ».
Pourtant nous craignons ce moment où pourrait monter en nous une haine destructrice semblable à la leur et nous gardons à l’esprit cette scène où, face aux soldats, Jésus enjoint à son disciple de ranger son glaive. Si notre sœur l’eau sait se faire violente comme au déluge où elle n’épargna que la famille de Noé et un couple de chaque espèce, Dieu a pourtant promis à Noé que plus jamais sa justice n’anéantirait la vie. Nous sommes dans les temps où l’eau doit baptiser, nous immerger, non plus pour tuer mais pour sauver. Sœur eau est chaste et pure. Que nous le soyons avec elle, que nous soyons la source et le torrent.
Nous nous rappelons que lors des luttes du Larzac, ce sont des chrétiens disciples de Noé – Lanza del Vasto et ses compagnons de l’Arche – qui firent de la défense de ces terres une lutte non-violente. Face à la violence de l’État, ils opposèrent l’habitation paysanne de la terre. Les chrétiens ont une place à tenir dans la lutte ; révoltés et pacifiques comme l’eau, comme cette eau qui s’offre sans condition à l’assoiffé, cette eau qui ne fait pas acception des personnes, qui abreuve sans distinction enfants, semis, oiseaux, militants écologistes et CRS. Cette eau qui nous appelle à n’être que ses frères et sœurs, qui nous lave en nous rassemblant autour d’elle ; cette eau qui peut devenir le vin des noces.
Malheurs à vous chrétiens qui condamnez ceux qui luttent, malheur à vous qui pérorez sur la violence des militants. Malheurs à vous, derrière vos écrans, vous qui ne défendez pas, avec l’eau, l’enfant, le semis et l’oiseau !
Heureux les artisans de paix ; heureux les doux, la terre est à vous. Si notre paix a encore un sens, c’est à Sainte Soline, comme avant au Larzac, qu’il nous faut aller la porter.
Ellibis