Le rire de l’extrême droite

On est tenté, par charité chrétienne, de dialoguer avec les partisans du vote nationaliste, mais on se heurte bien vite à un écueil, un abîme, sitôt passé quelques arguments : leur rire. Ce n’est pas un hasard si le Ku Klux Klan commence par des clubs de rire sordides où l’on pouvait rigoler entre blancs. Ce n’est pas un hasard si l’un des derniers grands mouvements fascistes en France a été animé par deux comiques plus ou moins réussis, Soral et Dieudonné, qui se permettaient de rire de la Shoah ou de faire de Faurrisson un personnage de comédie.
 
Le fascisme rie des principes qu’on lui oppose. Haha tu crois encore à la fraternité, à l’hospitalité, à l’amour. C’est un rire d’adulte face aux enfants qui croient encore, un rire qui se veut mature et informé. Un rire qui se veut supérieur, déniaisé, incrédule. Un rire lointain, que rien ne peut atteindre, aucun argument ni aucun sentiment. Un rire inquiétant donc, car il ne croit plus à rien. 
 
Le nihilisme qui est au fond du fascisme ne se combat pas seulement par un renfort de la raison. Car c’est bien la raison qui est en crise. Quand bien même on leur apporterait les preuves que l’immigration est un bienfait à tous niveaux pour la France, qu’il n’y a pas de lien entre elle et la violence, que l’ennemi est surtout le capitalisme et ses avatars sexistes, il n’y croirait pas. C’est pourquoi l’idée qu’il faudrait dialoguer avec l’extrême-droite n’a rien entraîné de neuf et au contraire a répandu ce rire nihiliste. Haha mais vous croyez encore que nous sommes racistes, allons. Ils rient encore quand ils insultent et frappent.
 
Dans la crise de la raison que les savants appellent le nihilisme, le fascisme n’est pas un hasard de l’histoire mais l’une des solutions à la crise de l’époque. Il est une auto-affirmation, une idolâtrie de la souveraineté de soi. La charité est une autre clef, qui repose au contraire sur une abolition de soi et de toute souveraineté. La charité est bien le commandement central, le nom même de Dieu, celui auquel on n’est bien sûr jamais conforme mais auquel on est appelé, pas seulement en tant qu’individu. Lorsque Pie XI disait que la politique est « la plus vaste charité »[1] il signifiait que les petits actes de charité individuelle sont bien sûr nécessaires, mais qu’ils ne sont que l’aspect étroit de ce à quoi nous sommes appelés. Or la charité chrétienne n’est pas invitée à un dialogue infini, mais à une annonce patiente. Une fois l’annonce faite, si l’on constate qu’ils ne veulent pas entendre, alors il faut, « secouer la poussière de ses pieds » et aller plus loin. Cela implique une confiance modérée dans les lieux de dialogue comme les parlements, même s’ils sont nécessaires, car ils peuvent étouffer les cris parfois faibles de ceux qui demandent justice sans accéder à la parole. Mais cela implique aussi que les chrétiens ont à s’organiser par eux-mêmes pour répondre à ces cris, pour crier avec ceux qui crient et pleurer avec ceux qui pleurent. 
 
Les fascistes rient, les chrétiens crient.

Paul Colrat

[1] « Plus est vaste et important le champ dans lequel on peut travailler, plus impérieux est le devoir. Et tel est le domaine de la politique qui regarde les intérêts de la société tout entière et qui, sous ce rapport, est le champ de la plus vaste charité, de la charité politique, dont on peut dire qu’aucun autre ne lui est supérieur, sauf celui de la religion. C’est sous cet aspect que les catholiques et l’Église doivent considérer la politique », Pie XI, Discours à la Fédération Universitaire Catholique Italienne (18 décembre 1927).