Cette interview du théologien Jérôme Alexandre fait office de recension de son ouvrage (Le christianisme est un anarchisme, Éd. Textuel, 2024). Elle a été publiée en 2024 par le média chrétien Golias, qui nous autorise aimablement à la reproduire ici.
Vous êtes théologien catholique, versé dans l’étude des Pères de l’Église et des dogmes de la foi, comment un théologien en vient-il à s’intéresser à l’anarchisme ?
Si le laïc que je suis est devenu théologien au point d’y consacrer mes recherches et ma vie professionnelle, c’est parce que j’ai pris au sérieux la foi, comprenant très tôt qu’on ne peut dissocier le choix très personnel de croire et la question large que pose la proposition chrétienne : oui ou non l’Évangile apporte-t-il une réponse conséquente aux interrogations des hommes, aux défis de l’histoire commune ? Je suis un enfant du Concile Vatican II. Dès ma jeunesse, j’ai été baigné dans l’idée que la foi chrétienne impose de s’engager dans la vie du monde, de participer au débat public, de juger des questions sociétales, économiques et bien sûr des sujets politiques. Or, mon attirance pour la radicalité de l’engagement aussi bien religieux que profane ne m’a pas conduit vers le marxisme, et pas non plus vers cette forme soft du progressisme politique qu’est le socialisme. En 1981, je n’ai pas cru un seul instant que Mitterrand allait changer quoi que ce soit au règne de l’argent et de la publicité, à la Société du spectacle (j’étais alors surtout intéressé par Guy Debord). En fait j’étais déjà anarchiste… non dans sa forme militante, mais par une attirance nette pour la radicalité vraiment conséquente de son esprit révolutionnaire. Mais j’ai mis du temps à faire le lien avec cette autre radicalité qu’est la « suite du Christ », comme on l’appelle depuis l’épisode évangélique ou Jésus demande au Jeune homme riche de tout quitter pour le suivre.
Justement, pourquoi faites-vous à présent ce lien et comment argumentez-vous ce rapprochement que très peu de chrétiens, et sûrement très peu d’anarchistes font ? Du reste le Jeune homme riche n’a pas suivi Jésus, à ce qu’on sait.
Ce qui marque dès l’origine la différence entre l’anarchisme et le marxisme, c’est que le premier place comme raison fondamentale de son esprit de révolte la question de la justice, tandis que le second enracine toute sa critique de la société dans la question de l’économie. Pour Proudhon, l’exigence de l’égalité est posée par la justice qui est un principe inhérent à l’ordre de la réalité toute entière. Pour Marx, l’égalité viendra d’elle-même, au terme d’une dialectique d’opposition entre classes dominantes et classes serviles. Cette opposition et sa résolution n’obéissent qu’à une logique dictée par l’économie. Or la justice, l’esprit de justice, est une valeur d’abord morale, avant d’être politique. Penser « Justice » suppose de considérer autre chose que les seuls facteurs matériels. On est, chez Proudhon, dans une démarche qui présuppose l’importance politique de la dimension spirituelle et morale de l’homme, et donc l’engagement de la conscience de chacun. Chez Marx, on reste dans une vue matérialiste, où les hommes n’obéissent qu’aux logiques de leur condition économique. C’est un premier point très important de rapprochement entre l’anarchisme et le christianisme, qui en commande aussitôt un autre : les anarchistes, depuis Proudhon, ont toujours pensé que la conséquence directe de la justice, outre l’égalité, est de satisfaire la liberté individuelle. Comment, en effet, la justice peut-elle prétendre s’exercer si elle bafoue la différence individuelle, au nom de l’émancipation de la communauté ? Dans le christianisme, ce qui rend décisive la question de la liberté tient en un mot : Dieu considère chaque être humain dans sa singularité. Chaque être humain est irremplaçable. Chacun est appelé par cette instance transcendante divine, incarnée en Jésus, et qui demande qu’on lui réponde, soi-même, en liberté. D’où le fait que les chrétiens ont cultivé dès les origines une approche individuellement responsable du mal et du bien.
Il reste que l’anarchisme est antireligieux et antiautoritaire ; le christianisme de son côté, dans sa version catholique, est soumis à l’autorité d’un pape, à une hiérarchie, il croit certes à la justice mais surtout à celle qui sera rendue dans l’au-delà, comment les conciliez-vous ?
On peut tout-à-fait montrer que le christianisme est lui aussi très critique vis-à-vis d’une certaine manière de vivre la religion comme un refuge dans la croyance, une réponse à tout, un moyen de s’épargner le devoir d’engagement dans la société en fixant ses vues sur l’au-delà. L’Évangile opère une vraie prise de distance par rapport au besoin de sacré, et ne s’intéresse pas plus que cela à l’au-delà. Ce qui est pour lui sacré (si toutefois il faut conserver ce mot) ce ne sont pas les rites et les textes de la foi, c’est la vie. Et le ressort de la conscience intime, là où se loge la volonté propre, le sens de la vérité, le désir de bonheur. Le Concile parle de la conscience comme d’un « sanctuaire inviolable ». Quant à la soumission à l’autorité, il faut s’entendre. Le christianisme n’a rien à voir avec la soumission servile, jamais. Sa conception de l’obéissance est théologale, elle signifie le consentement, l’assentiment envers ce qui est juste et bon comme étant reçu gracieusement de Dieu, or cet assentiment ne peut jamais forcer la conscience. Bien plutôt, il adhère naturellement à tout ce qui fait grandir en liberté. Ainsi, obéir aux commandements de Dieu signifie non pas une diminution de la liberté, une contrainte subie, mais à l’inverse une libération. Je vais revenir sur ce point qui interroge le sens de la loi, et que je développe dans tout un chapitre du livre, après avoir répondu à la question de l’au-delà, de la justice reportée à l’au-delà de cette vie.
Tout un antichristianisme, depuis Voltaire, Feuerbach, Nietzsche, a fait ce reproche à la foi chrétienne de justifier l’injustice de ce monde, par la promesse de réparation dans l’autre monde. Rien de plus faux. Une lecture un peu honnête des évangiles, prévenue du sens de la prédication du Christ replacée dans la longue tradition des prophètes d’Israël, ne distingue en aucune façon la justice définitive à la fin des temps, et, non pas la justice des hommes, mais le devoir de se tenir en cette vie dans un ordre de justice qui soit déjà celui du Jugement dernier. Les Béatitudes au début du Sermon sur la Montagne dans l’évangile de Matthieu, ainsi que l’étonnante mise en scène du Jugement dernier au chapitre 25, l’expriment très clairement. Les pauvres, les persécutés, les perdants de ce temps sont en réalité les vainqueurs sous le regard de Dieu. Ce qui va donc compter plus que tout est d’adopter ce regard de Dieu en établissant la justice ici et maintenant pour tous les dominés, pour tous les perdants de l’histoire. Le concept savant d’eschatologie impose cette lecture. Il faut bien le comprendre et le prendre en compte, si l’on ne veut pas tomber dans le contresens. Il signifie ceci : l’Évangile témoigne d’un bout à l’autre d’une transformation du temps, dans laquelle ce qui survient à la fin (c’est le mot grec eschaton) devient clé de lecture et règle d’action pour le temps présent. Les Béatitudes ont une portée politique immédiate. Elles ne se conjuguent pas au futur, mais ouvrent le présent à son avenir anticipé dans le Christ. Le christianisme oblige à distinguer très nettement le futur et l’avenir. Le futur c’est l’inconnu du temps chronologique. L’avenir c’est ce que nous connaissons déjà en construisant dès à présent le Royaume de Dieu.
Quel est donc selon vous le socle commun, la conviction commune comme vous l’appelez, entre le message évangélique du christianisme et le combat anarchiste ?
Il est que l’on peut et doit travailler à la libération collective dans le souci constant de respecter toutes les différences, individuelles, culturelles, religieuses. Toutes les différences. Ce sont elles qui font la saveur de la vie, les échanges, les découvertes, l’étonnement, les conversions. Sans elles, c’est la dictature du même, c’est le conformisme et le nivellement, l’ennui. Ce qui fait le commun, en réalité, ce n’est pas la ressemblance et l’alignement, mais la dissemblance. Jésus ne se tient pas devant un groupe mais il appelle chacun de ses proches par son prénom (le prénom désigne l’unique qu’est chacun), il rencontre sans cesse des personnes et des situations nouvelles, il produit de l’inattendu, il déjoue les convenances. La grande question politique et tout autant spirituelle est : comment entraîne-t-on les humains dont les différences peuvent à chaque instant susciter de la violence, à vivre ensemble dans la paix, à se compléter, à s’entraider, à s’aimer ? Ce défi, cette utopie, sont anarchistes, il suffit de lire Proudhon, Bakounine, Kropotkine (auteur d’un livre intitulé L’Entraide), Élisée Reclus, Simone Weil, pour le vérifier. Cette utopie est aussi, complètement, celle de l’Évangile. Il y a eu beaucoup d’égarement, d’imposture ou de contresens chez les chrétiens, mais il y a eu également de vraies expériences durables de vie communautaire, ou de communautés informelles, qui étaient tout sauf l’écrasement des différences. Et ces expériences sont suffisantes pour attester de la justesse politique de l’idéal évangélique. Une politique basée sur le désintéressement peut faire sourire. Cette notion, qu’on peut estimer inaccessible, rêveuse, est pourtant la seule qui puisse s’opposer à tout ce qui, par le jeu constant et insatiable de l’intérêt, ne peut qu’alimenter la domination. Tout le libéralisme, qui usurpe son nom, repose non sur l’échange véritablement libre (et non le libre-échange), non sur la relation respectueuse de l’autre, mais sur les ruses infinies de l’esprit dominateur. Tout le credo capitaliste est dans un mot : dominez ! Le mot d’ordre chrétien, lui, est à l’opposé : servez ! Et le mot d’ordre anarchiste est dans la proximité chrétienne : libérons-nous mais cela ne peut être qu’ensemble ! En christianisme comme en anarchisme, la liberté, qui s’oppose au sens que lui donnent les dominants, est toujours une libération collective. Si l’idée de salut n’est plus comprise, utilisons le mot libération. Son sens plus ouvertement politique n’en est pas moins mystique. Il s’agit d’entrer, d’entrer enfin dans la gratuité de l’amour qui seul libère.
Votre livre parle en effet beaucoup de l’amour. Vous risquez de ne pas être compris, d’être reçu comme un idéaliste ou un naïf. Que vient faire l’amour dans la question politique ?
La politique n’est ni la question de la souveraineté, ni même celle du droit. Voilà ce que j’ose écrire et qui risque bien d’être tout-à-fait moqué et vite contredit, si je ne m’explique pas. Je le dis à la suite de deux grands penseurs, ce qui déjà me met un peu à l’abri. Le premier est Blaise Pascal dont j’utilise une Pensée, pour montrer que l’essence de toute loi, et donc celle de la politique, est en réalité l’amour. Proposition qu’on pourrait trouver absurde, puisque le rôle de la loi est le plus souvent d’être un garde-fou protecteur des excès de la liberté individuelle, un soutien pour ceux dont les droits sont facilement bafoués, ce qui n’a que peu à voir avec l’amour. Pourtant, il montre qu’en réalité les lois sont presque toutes inopérantes, inutiles, car, dit-il, « deux lois suffisent ». Ces deux lois sont les deux commandements divins de l’amour de Dieu et du prochain, dont Jésus dit d’ailleurs qu’ils forment un seul commandement. De là je montre, à la suite de Pascal, que les lois n’ont de sens, de valeur constructive pour la vie commune, que si elles sont assumées individuellement comme procédant de l’amour et exerçant l’amour. L’autre grand appui de cette idée que la politique n’est pas la question de la souveraineté, ni celle du droit, est Simone Weil. Je recommande sur ce sujet la lecture de l’Enracinement, et plus encore celle d’un court essai écrit en 1942 à Londres, remarquable d’intelligence et d’audace : La Personne et le sacré, texte dans lequel elle démontre que le droit est toujours du côté de la force, toujours du côté de la domination, et que les opprimés, les souffrants, n’en ont pas besoin. Ce texte, selon moi, fonde comme nul autre le caractère universel de la justice, de la vérité et de l’amour, et donc la prétention tant de l’anarchisme que du christianisme à ouvrir un avenir possible pour tous les humains où qu’ils soient et quels qu’ils soient. Elle est certes déjà chrétienne d’adhésion intérieure quand elle l’écrit, mais ce qu’elle dit vient aussi directement de sa détermination politique antérieure. Je me réfère beaucoup à elle, en raison de sa double affinité anarchiste et chrétienne, mais surtout parce qu’elle va puiser, au plus profond de son aspiration débordante à la vérité, une liberté de parole proche du scandaleux. L’amour, chez elle, répond au scandale du malheur par le scandale de l’excès du bien. Il a tout à voir avec la question politique, pour peu qu’on délaisse le folklore des usages et postures politiques, et que l’on s’attache avec la plus grande attention à penser le vivre ensemble comme étant l’enjeu suprême de la vie.
On ne s’attend pas non plus à ce que vous parliez de la sainteté. Est-ce une provocation ? Comment en faites-vous le point d’arrivée, l’accomplissement, de votre démonstration ?
Cette notion risque en effet de ne pas être bien comprise, et d’abord par mes amis anarchistes. Elle n’a rien à voir avec les images qui viennent à l’esprit quand on l’évoque. Je la conçois comme étant la foi elle-même, ni plus ni moins. La foi est quelque chose d’incroyable, sans jeu de mots. Je la distingue complètement de la croyance, et même du consentement intellectuel que nous donnons aux dogmes de la foi, pour y voir principalement, et même seulement, une attitude, une manière de prendre la vie, une manière de vivre. En ce sens, la foi consiste en une confiance fondamentale dans la positivité de l’existence, une confiance au-delà de tout ce qui s’avère incompréhensible, absurde ou dramatique, et qui menace sans cesse de nous faire perdre pied, et chercher refuge dans des croyances précisément, dans une identité (y compris chrétienne), dans le confort propriétaire de nos valeurs et de nos idées. La foi se signale par son ouverture permanente à l’altérité, quand bien même cette ouverture ressemble à un saut dans le vide. Elle repose en fait sur une unique conviction : le monde, la vie, sont une chance. Il y a de la bonté au fondement du monde et du vivant. Or, j’observe sur ce point, là encore, une parenté avec le positionnement des fondateurs de l’anarchisme. Si les anarchistes refusent l’État, regardent les lois avec soupçon, s’en prennent à toutes les formes de domination, c’est parce qu’ils pensent la réalité comme étant nativement positive. Pour eux, comme pour les chrétiens bien avant eux, le seul fait d’être au monde, si incompréhensible soit cette donnée, impose la confiance. Se tenir à cette attitude, alors qu’il y a tant de mensonge chez les hommes, tant de souffrances, s’y tenir par-delà les échecs de l’histoire, les échecs personnels aussi, c’est cela exactement la sainteté. On peut donc aller jusqu’à voir dans la sainteté, qui n’est en fait qu’un autre mot pour dire l’esprit de justice et d’amour, l’horizon décisif de la politique. Si en effet la sainteté est une manière de vivre autrement la relation aux autres, à la terre, au vivant, une manière de ne plus affirmer son droit ou de borner sans cesse son territoire, si la sainteté est une ouverture totale de soi jusqu’à l’amour de l’ennemi, alors elle affirme d’emblée sa supériorité politique face aux frilosités et aux replis de toutes sortes, à commencer par le repli identitaire. Elle est non seulement preuve de la confiance mais son moteur constant. Elle parie sur l’impossible, et elle a raison de le faire, car elle est gagnante dès le début. Certes, la sainteté politique, comme la « charité politique », concept du pape François dans Fratelli tutti, suggère un certain dépassement du politique, s’il devait être compris strictement comme forme objective de la vie commune. Dans l’idée de manière d’être, il y a plus que l’ensemble des règles d’organisation de la vie publique, il y a plus que les usages de la vie commune. Il y a un esprit, un style, propre à ce qui est commandé par l’ouverture, la confiance, la positivité partagées. Cet esprit, ce style, ne se définissent plus en termes seulement politiques, parce qu’ils regardent du côté de l’inventivité, de l’inattendu, du surgissement de l’inconnu, ce qu’en langage religieux on appelle le miracle, la promesse, et qu’en langage profane on dira le possible, l’espérance (encore que ce dernier mot est aussi très important dans le christianisme). Parler de style fait penser évidemment à l’art. L’œuvre d’art est toujours un petit ou un grand miracle. Elle fait surgir l’inattendu, même pour celui qui l’a réalisée. C’est cela l’avenir, l’eschatologie, quand arrive ce que j’appelle « le Royaume inattendu », c’est-à-dire la réalisation qu’on osait plus même espérer d’une vie qui vainc toutes les puissances de mort, parce que simplement on s’est montré disponible à sa venue. La bonne politique n’est pas celle qui règle seulement le bien vivre commun, par des lois, des institutions, des rites que l’on partage, mais celle qui permet de s’élancer au-delà du politique, dans la capacité inventive, créative et jouissive dont disposent les humains et dont la société actuelle dans son opulence et son ennui consumériste ne sait plus rien. En somme, je prêche comme Simone Weil pour une sainteté nouvelle, une sainteté à inventer, une sainteté révolutionnaire. Elle l’est.
Votre propos n’est pas sans rappeler les théologies de la libération. Mais nous vivons un autre temps, et leurs combats semblent bien oubliés. Comment vous situez-vous par rapport à eux ?
Oui, j’ai relu récemment certains de leurs textes. J’ai éprouvé un sentiment double : celui d’une grande justesse évangélique de leur engagement, et celui d’une certaine inactualité, d’un décalage par rapport à ce que je pense être, comme eux, la portée révolutionnaire de l’Évangile. Je n’y mets pas exactement la même attitude, justement. Gutierrez, Boff, Segundo, font parfois une traduction trop littéralement politique, et donc un peu idéologique, de l’Évangile, ils n’entendent pas et ne prennent pas en charge suffisamment la dimension follement inventive et gratuite, artistique, de l’amour. Mais loin de moi de les critiquer et cette remarque est peut-être injuste. J’admire grandement leur disponibilité à tirer toutes les conséquences agissantes de leur foi, leur persévérance dans des combats perdus d’avance, leur solidarité totale avec les pauvres. Nous sommes près d’un demi siècle plus tard dans un contexte différent. La grande affaire reste bien sûr l’injustice, la souffrance des exclus. Mais je pense pour ma part que le système économique planétaire, qui est évidemment la source de toutes les injustices, est arrivé à un tel niveau d’aberration qu’il ne peut que s’effondrer. Il n’est presque plus nécessaire de le combattre frontalement. Par contre il faut préparer les esprits à comprendre l’effondrement qui vient (et qui a déjà commencé), les préparer spirituellement et politiquement. C’est, dans une très modeste mesure, la contribution que veut apporter ce livre. Dire « le christianisme est un anarchisme » ne suggère en rien de rapporter notre vieille religion à ce courant politique extrémiste aujourd’hui un peu désuet, lui-même sans doute vieilli. C’est au contraire parier sur la jeunesse qui est au cœur de l’un et de l’autre, sur la redécouverte stimulante qu’on peut en faire, en les éclairant l’un par l’autre. Deux forces convergentes absolument capables d’inventer un avenir possible, je le crois. Ce sont l’histoire et le monde qui sont fatigués. Ni le christianisme, ni l’anarchisme ne le sont. Je souligne cet autre rapprochement qui n’est pas le moins intéressant. L’une et l’autre traditions, qui sont d’ailleurs plurielles quasiment depuis leurs origines et n’ont jamais été figées, portent cette capacité rare de remise en question d’elles-mêmes. De l’extérieur on les croit essoufflées et même moribondes, mais quand on les vit de l’intérieur (surtout le christianisme en ce qui me concerne), on mesure parfaitement leur potentiel de réinvention.