Guerre des États-Unis contre l’Iran : la théologie idolâtre de Donald Trump

Une version légèrement différente de ce texte a été publié également le 23 juin 2025 sur le site du journal Le Monde. Lien vers l’article ici.

« Je tiens à remercier tout le monde et, en particulier, Dieu, je tiens à dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre formidable armée. Protégez-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. » Voici les mots qui concluent le discours de Donald Trump annonçant et justifiant l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Iran. Mots saturés de mensonges, mots à déconstruire sur le terrain théologique qui est le leur. Même si cela est inutile ; même si les mots restent à jamais impuissants et assez ridicules face à la force qui se déchaîne ; justement parce que l’époque humilie tout désir de vérité, toute volonté de ne pas céder à la voie du pur intérêt. 

« Remercier tout le monde et, en particulier, Dieu. » 

Trump essaye ici d’embarquer « tout le monde » – « Dieu » compris – dans son entreprise guerrière. Chacun étant remercié pour cette dernière, chacun se sent concerné et compromis avec elle. Universalisation factice de l’acte de guerre et de sa responsabilité, feinte de l’unanimité politico-militaire. Le pouvoir aime le langage de l’unité. Ainsi peut-il donner l’illusion d’être l’expression de la société dans sa totalité. Cela renforce également sa légitimité : s’il parle au nom de tous, sa force s’enrichit symboliquement de la force de tous. 

Cette première phrase est aussi un modèle original de blasphème. Trump remercie Dieu pour un acte politique qui lui est totalement étranger : lancer une guerre. L’Évangile nous apprend que la présence de Dieu dans l’histoire ne passe pas par des campagnes militaires lancées par des États avides de puissance. En remerciant Dieu pour un événement qu’il n’a ni voulu, ni demandé, Trump lui attribue un acte qui n’est pas le sien et substitue à Dieu « son » propre Dieu, un Dieu qui appelle à la guerre et la soutient. De façon particulièrement retorse – en empruntant d’apparence l’humble langage de l’action de grâce et de la gratitude – Trump se couvre en réalité lui-même de gloire. L’orgueil le plus destructeur prend le masque de l’humilité la plus innocente, la volonté de puissance obstinée revêt l’apparence de l’ouverture à la grâce. Trump honore un autre Dieu que le vrai Dieu, il fabrique un Dieu qui lui convient, un Dieu sur mesure. Dans la Bible, ce processus a un nom bien connu : l’idolâtrie

Dieu est un acteur parmi d’autres, il est simplement remercié « en particulier ». Manière grossière d’étendre à tous les protagonistes de la guerre le sentiment d’être dans leur bon droit, sur la bonne voie, sur le chemin voulu pour eux par un Dieu insidieusement redéfini. Le militaire et le fonctionnaire sont remerciés au même titre que Dieu. Ainsi y-a-t-il œuvre commune, collaboration, alliance entre les hommes et Dieu. Guerre sanctifiée, alliance sainte entre Dieu et les hommes. Autrement dit : guerre devenue sacrée, indiscutable, hors du domaine du discernement moral et de la rationalité démocratique.

« Je tiens à dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre formidable armée. Protégez-les. »

On aime ce qui désire et fait notre bien. La guerre étant ainsi un bien, Dieu qui l’a voulue et l’armée qui la mène sont éminemment aimables. L’amour, témoin du bien-fondé des bombardements et de l’acte de semer la mort ? C’est bien ce genre d’absurdité que proclame Trump ici. « Protégez-les » : on prend soin de ce qui nous aime, on le chérit, on ne veut pas sa mort. À la manifestation de l’amour succède donc l’ordre de ne pas lui nuire et de l’honorer dans ses besoins et ses exigences. 

« Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. »

Selon les dires de Trump, il n’y a pas des intérêts qui s’affrontent, il n’y a pas de volonté hégémonique et impérialiste, il n’y a pas de hiérarchisation de la valeur des vies – vies des israéliens et des américaines infiniment plus dignes d’être vécues que les vies des Gazaouis ou des Iraniens –, non, il n’y aurait qu’un grand dessein d’amour universel voulu par Dieu qui a élu Trump lieutenant de celui-ci. C’est évidemment mensonger. Ce grand dessein est présenté de façon manichéenne et apocalyptique : le camp du bien contre le camp du mal, le camp de la « liberté » contre le camp de la « tyrannie ». Trump infléchit légèrement la rhétorique de la guerre de civilisations : il ne s’agit plus de « l’Occident » contre « l’Orient » mais de quelque chose de plus métaphysique qui transcende les frontières et les cultures. Encore l’image de l’unité, de la totalité, derrière lequel s’avance une logique impériale. La « pax americana » – présentée positivement comme bien universel auquel tout le monde aurait « droit » – passe par l’usage nécessaire d’une force dès lors jugée libératrice. 

Légitimation de la guerre, divinisation de la force, sanctification de la mort ; théologie du pouvoir et de la violence ; hérésie non chrétienne et anti-évangélique. 

Foucauld Giuliani