Nous connaissons tous des récits douloureux sur la défaillance du système de soin: une grand-mère lavée une fois par semaine, des pansements changés toutes les 36 heures, des urgences saturées où l’on meurt seul dans un couloir. Dans 21 départements, les soins palliatifs sont absents. Deux Français sur trois en sont privés. Cela, faute de personnel et de financement. En 25 ans, près de 100 000 lits d’hôpital ont été fermés, dont 4 900 en 2023. Selon les indicateurs y compris gouvernementaux, il faudrait 100 000 professionnels supplémentaires pour répondre aux besoins croissants de prise en charge des personnes âgées.
Être de gauche, c’est voter en prenant en compte les conséquences matérielles des lois sur le corps social et particulièrement sur les plus vulnérables. Alors que deux textes sur les soins palliatifs et l’aide à mourir sont débattus, l’état alarmant de notre système de santé devrait nous alerter. Bien au-delà des convictions éthiques, ce sont les conditions réelles d’accès aux soins, les pénuries de moyens et les coupes budgétaires qui détermineront la mise en œuvre de cette loi. Dans un tel contexte, la légalisation de l’« aide à mourir » implique de faire peser sur les plus fragiles la responsabilité du prolongement coûteux de leur existence. Refusons que s’exerce sur eux la pression de choisir la mort plutôt que d’endurer l’abandon.
Et ces besoins ne feront qu’augmenter : en 2040, un Français sur quatre aura plus de 65 ans. L’inflation, le coût du matériel médical high-tech et l’explosion des maladies chroniques aggravent encore l’équation. Si nous voulons préserver notre État social, il est nécessaire de faire preuve de réalisme politique. La droite et les macronistes poursuivent une logique de rigueur budgétaire avec l’objectif inatteignable d’une dette de moins de 3% d’ici 2029. Pour le budget 2025, une hausse des dépenses d’assurance maladie de 0,6 % a été obtenue par la gauche par rapport aux prévisions du gouvernement Barnier, ainsi que le triplement du fonds d’urgence pour les Ehpad en difficulté. Mais ces mesures sont compensées par l’augmentation des cotisations retraites du personnel hospitalier. Selon la Fédération hospitalière de France, il faudrait une hausse d’au moins 6 % des dépenses de santé, et non les 3,4 % concédés.
Que penser de l’autorisation de l’aide à mourir dans un hôpital qui prend l’eau ?
Le désir de mourir est un sentiment complexe, comme le rappellent les praticiens. Nos choix sont profondément influencés par le contexte dans lequel ils se forment. Or, le contexte dont nous parlons est celui de la destruction de l’Hôpital public, de l’insuffisance incontestée d’accès à des soins adaptés, d’un discours intériorisé sur les vies qui auraient “moins de valeur” car moins productives. Les communications des mutuelles expliquent que « dans les six derniers mois de notre vie, nous coûtons autant à la Sécurité sociale que pendant tout le reste de notre existence ». N’y a-t-il vraiment aucune hypocrisie dans l’absence d’intérêts financiers revendiqués, et par l’État, et par les acteurs privés lucratifs du secteur de la santé ? Le risque est considérable, dans une société capitaliste structurée par les logiques du rendement et d’utilité, que les plus isolés et les plus vulnérables, assumant seuls la charge de la continuation onéreuse de leur vie, soient implicitement invités à « choisir » la mort.
Face à la souffrance réelle des malades, certains prônent une « aide à mourir » encadrée par des conditions strictes. D’ailleurs, les deux avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), conditionnent l’ouverture du cadre juridique à des critères stricts de prudence et à une amélioration nette des soins palliatifs. Cependant, sous prétexte ne pas empêcher la mise en oeuvre de la loi, les gardes-fous contre une pratique anodine de l’euthanise tombent : le rendez-vous préalable avec un psychologue a été supprimé, le médecin est le seul à devoir s’assurer que la décision du malade serait prise librement (sans contrôle collégial), le contrôle des conditions de l’acte n’est qu’a posteriori. Et enfin les parlementaire on refusé d’inscrire dans le texte le délit d’incitation au suicide assisté ou à l’euthanasie. Cependant ils veulent interdire aux proches du malade, l’exercice de voie de recours en cas de conflit sur la volonté du malade. Dans le contexte de pression tant humaine que budgétaire vécu par les soignants et par les patients, comment ne pas s’alarmer d’un tel manque d’encadrement ?
Dans une tribune parue le 11 mai dans l’Humanité, le collectif JABS écrivait: “La gauche a su penser le racisme et le sexisme ordinaire ; elle a toutes les ressources pour penser le validisme ordinaire.” La question des droits individuels devrait être abordée parallèlement à la question de leurs conditions matérielles et sociales. Il est hypocrite de prétendre donner une « liberté de choisir de mourir » dans un système de soins carencé, précarisé, qui n’est pas capable, par manque de moyens, de proposer l’accompagnement thérapeutique et social dont les personnes en grandes souffrances auraient besoin. Dans un tel contexte légaliser l’« aide à mourir » implique de faire de la mort une option par défaut pour ceux auprès desquels la société a délaissé son devoir de soins, de soutien et de dignité.
Chrétiens, notre rêve de société
Parce que nous sommes chrétiens, nous croyons en la dignité de chaque être humain, nous luttons pour une société fraternelle où l’attention mutuelle donne sens à la fin de vie et nous pensons que le rôle de l’État n’est jamais de favoriser la mort, mais de prendre soin des personnes. Nous entendons les souffrances, parfois extrêmes, des malades qui expriment leur souhait d’en finir et sommes conscients que le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie où porteur d’une maladie irréversible ne répond pas à l’intégralité des situations. Nous sommes plutôt inquiets devant une société qui refuse d’entendre les souffrances des malades et préfère accélérer la mort des plus vulnérables.
C’est pour cela que nous luttons avec nos camarades pour un service public universel, financé par un juste partage des richesses. Le projet de société que nous portons est un projet solidaire, protecteur, qui choisit de soutenir les structures de soins, les relations humaines, l’accompagnement. Non une société de la sélection douce, qui prétend libérer quand elle abandonne. Nous rêvons d’une société qui fasse le choix de la dignité et de la solidarité – pas la mise à disposition de la mort.
Camille Charrière et Thérèse du Sartel
Image Robert Wyland, Whale tail