Catholique et milliardaire : approche d’un problème

Ce texte a été initialement publié sur le site internet de la revue Esprit par Pierre-Louis Choquet, membre de notre collectif ; nous remercions son rédacteur en chef de nous laisser le republier sur notre site.

Avec la réélection de Donald Trump à la Maison Blanche et la nomination d’Elon Musk à la tête du DOGE, l’influence des milliardaires libertariens dans le jeu politique des démocraties occidentales a franchi un nouveau palier. Cette situation, pour le moins inattendue, semble donner tort à une hypothèse forte de Karl Marx, formulée à la fin de sa vie; selon lui, le développement rapide des sociétés par action permettant de lancer des souscriptions auprès d’un public anonyme (les « investisseurs ») allait avoir pour effet paradoxal de « socialiser le capital », et de précipiter ainsi la disparition des entrepreneurs capitalistes – ceux qui pouvaient encore détenir à eux seuls les moyens de production1. Au cours des années 1990, le triomphe de la globalisation économique semblait pourtant confirmer parfaitement l’hypothèse de Marx: avec la multiplication des traités de libre-échange et l’interconnexion croissante des places financières, les flux d’investissement pouvaient être redirigés d’un pays à l’autre, organisant une mise en concurrence généralisée des économies nationales; en d’autres termes, le capital n’avait plus de visage, et exerçait sa domination de façon purement impersonnelle et abstraite2. Mais dans le même temps, l’accroissement spectaculaire des inégalités favorisait la concentration du patrimoine dans les mains de quelques ultra-riches, dont la capacité effective à influer sur le jeu politique n’est apparue que récemment, à la faveur du coup d’État numérique mené par Musk contre l’administration fédérale. Avec le milliardaire sud-africain, le capital techno-libertarien retrouve un visage; et cette soudaine incarnation lui donne accès au pouvoir exécutif, pour semer la confusion et précipiter le démantèlement des institutions de l’État fédéral – le tout, avec une efficacité qu’aucun lobby n’aurait pu imaginer.

Quoique moins alarmante, la situation en France mérite qu’on s’y arrête. Depuis les révélations du journal L’Humanité à l’été 2024 sur le projet « Périclès », il ne fait guère de doute que Pierre-Édouard Stérin est, dans l’Hexagone, le milliardaire le plus décidé à convertir sa fortune en influence politique. Qu’il ait déshérité ses enfants, qu’il ne soit propriétaire d’aucun yacht à Saint-Tropez, d’aucun chalet à Courchevel, qu’il n’ait pas acheté de Soulages ou de Giacommetti – tout cela dénote certainement son austérité et son sens de l’ascèse, dont on sait depuis Max Weber qu’ils sont les ressorts psychologiques de l’entrepreneur capitaliste. Et quoiqu’on en dise : céder toute son patrimoine à fonds de dotation requiert tout de même une certaine noblesse d’âme, qu’il serait ridicule de nier. Mais s’il a nominalement cédé tout son patrimoine, Pierre-Édouard Stérin ne semble pas pour autant avoir renoncé – loin de là – au pouvoir social que lui offre sa position de philanthrope. En ce sens, c’est bel et bien en milliardaire (sinon de droit, au moins de fait) qu’il préside aux destinées du projet Périclès, et qu’il cherche à créer un espace politico-médiatique pour faire avancer ses idées xénophobes et libertariennes – recevant tour à tour dans son bureau toutes les personnalités politiques susceptible d’incarner, un jour, un projet présidentiel nationaliste-autoritaire.

Aux journalistes qui l’interrogent, aux investisseurs qu’il fréquente, Pierre-Édouard Stérin n’hésite pas à dire qu’il est catholique, que l’objectif de son passage sur terre est « d’optimiser ses chances d’être béatifié. »3 La proximité de ses idées avec celles de la nouvelle alt-right catholique américaine, incarnée par le vice-président J.D. Vance, est évidente; en février dernier, il confiait ainsi aux journalistes du Monde apprécier la volonté de D. Trump de « remigrer » en masse des ressortissants latino-américains vers leurs pays d’origine4 – une idée pourtant très explicitement condamnée par le pape François à plusieurs reprises. Mais plutôt que de passer ici en revue ses points de désaccords (celui de l’immigration, en tout cas, en est un) avec le magistère romain, l’enjeu est ici de poser une question plus fondamentale: peut-on vraiment être catholique et milliardaire? Si la réponse est « très probablement non », alors l’argumentaire qui la sous-tend mérite d’être exposé. Dans la mesure où la tradition catholique est manifestement l’univers normatif qui importe le plus pour PES, il importe de produire une critique qui parte d’elle. Même s’il est fort peu probable que l’intéressé lise ce texte, celui-ci peut néanmoins opérer une clarification, et faire apparaître à tous la fragilité de l’édifice sur laquelle il croit pouvoir baser ses convictions morales.

Ce qu’il convient de faire au moment d’aborder ce problème (etc., « catholique et milliardaire »), c’est de se méfier de ses cadrages les plus convenus – par exemple, celui qui consiste à rappeler le célèbre verset du chameau et du chas d’aiguille (Mc 10, 24-25). Ces cadrages tendent à situer la réflexion sur un plan moral et/ou spirituel; de fait, Jésus insiste bel et bien sur le fait que la richesse opacifie le cœur de l’homme, qu’elle le coupe de l’essentiel, qu’elle tend toujours à devenir une idole. On ne saurait, bien entendu, se dispenser de cette perspective évangélique. Durant les premiers siècles de l’Église, les communautés chrétiennes ont d’ailleurs pris ce verset très au sérieux, et ont entretenu une très sérieuse méfiance à l’égard des richesses matérielles – qui s’est peu à peu dissipée à mesure que se convertissaient les familles patriciennes et que le christianisme devenait religion officielle de l’empire. Depuis lors, soit durant toute l’ère constantinienne, l’Église catholique a ainsi cherché à tenir une voie médiane entre, d’un côté, la radicalité apocalyptique de certains propos de Jésus (cf. le chameau et le chas d’aiguille en Mc 10, 24-25, le stockage du grain en Lc 12, 16-20) et, de l’autre, son pragmatisme missionnaire (cf. se faire des amis avec l’argent trompeur en Lc 16, 9-13) – dualité que l’on retrouve d’ailleurs en travail dans les Actes des Apôtres, qui fournit à la fois une histoire de la proto-Église en même temps qu’un modèle normatif ecclésiologie; d’un côté, les membres de la communauté de Jérusalem vendent leurs biens et mettent tout en commun (Ac 2, 45) et punissent lourdement Ananie et Saphire pour leur cupidité (Ac 5, 1-11); de l’autre, ceux de Philippes n’hésitent pas à se placer sous le patronage d’une riche marchande de pourpre, Lydie (Ac 16, 13-15). L’oscillation présente dans les évangiles et dans les Actes fait fond sur une incompressible ambiguïté: en ce sens, il est difficile de s’appuyer sur les fondements scripturaires (dont l’autorité est, bien évidemment, forte) pour émettre jugement définitif sur la possibilité – ou l’impossibilité – d’être « catholique et milliardaire »5.

Peut-on, dès lors, espérer dire quelque chose d’intéressant? De fait, cette approche morale/spirituelle du problème favorise in fine des postures consensuelles, qui tendent à dé-problématiser cette question de la richesse. Dans son histoire – et plus encore dans son histoire moderne -, l’Église catholique s’est ainsi accommodée de sa fonction redistributive; bénéficiant d’un entregent particulier auprès des rois et des princes – et bientôt, des bourgeois -, obtenant auprès d’eux de quoi financer ses œuvres pour les plus pauvres. Dès lors, la question n’est plus tant celle de la richesse en tant que telle que celle de savoir si celle-ci est bien employée – c’est-à-dire, mise au service du projet de « sauver les âmes ». Au fond, cette façon d’aborder le problème semble s’être imposée à peu près partout – peut-être justement parce qu’elle offre le confort cognitif de naturaliser la richesse, de faire comme si elle avait toujours été là, pour se concentrer sur le problème (bien plus intéressant) de savoir comment elle pourrait être employée. Cette façon de cadrer les choses arrange du reste les milliardaires eux-mêmes. Ainsi, lorsque les admirateurs de Stérin le décrivent comme un « Soros de droite »6, ils veulent signifier qu’au fond, même les gens de gauche sont eux aussi, bien qu’ils n’osent se l’avouer à eux-mêmes, admiratifs – voire même dépendants – d’un milliardaire, qui poursuit lui aussi des visées politiques à travers sa philanthropie. À les suivre, la question ne peut donc être la richesse en elle-même – car soulever cette question, c’est déjà être hypocrite -, mais plutôt la façon de s’en servir une fois « qu’elle est là ».

Pour sortir de cette ornière, il faut plutôt essayer de répondre à la question: « comment un milliardaire l’est-il devenu? ». Car comme chacun le sait, la seule façon de devenir milliardaire est de « vendre sa boîte » – ou, à tout le moins de faire croître sa valorisation. Bien entendu, le flair, le bagout, la perspicacité sont des qualités subjectives nécessaires pour tirer son épingle du jeu dans la jungle du marché – et les panégyriques à la gloire des entrepreneurs ne se privent jamais de le souligner – ; mais ces qualités subjectives ne pourraient jamais, à elles seules, expliquer une telle accumulation de richesse, si elles ne trouvaient pas quelque appui dans des formes objectives – en l’occurrence, ici, dans des véhicules juridiques garantissant le verrouillage de la propriété du capital ; à savoir, les sociétés commerciales à responsabilité limitée. Depuis un siècle et demi, la forme sociétaire s’est diffusée dans quasiment tous les pays du globe, où elle structure la plupart des activités économiques. Aujourd’hui, rien ne semble plus naturel – et légitime – que de déposer des statuts d’une nouvelle société au registre du commerce pour démarrer une nouvelle activité.

Pourtant, une analyse attentive de la société commerciale à responsabilité limitée suggère qu’elle est un moyen tout sauf neutre de structurer l’activité économique : elle légitime le fait que des entreprises puissent faire porter à toute la société des risques dont elles ne peuvent rendre compte, tout en leur permettant de maximiser des gains privés7. Bien que cette perception se soit de nos jours tout à fait évanouie, elle fut extrêmement vive au début des années 1850 au Royaume-Uni – au moment où fut avancée la proposition de faire de la responsabilité limitée une propriété par défaut de toute société commerciale créée sur le sol britannique8. Jusqu’alors, c’était un régime d’exception qui prévalait – au Royaume-Uni comme ailleurs, seuls des projets d’utilité publique (creusement de canaux, construction de réseaux d’adduction d’eau, de voies de chemins de fer, compagnies de banque et d’assurance, etc.) pouvaient bénéficier de cette prérogative. En France, par exemple, les demandes pour obtenir la responsabilité limitée devaient être soumises au Ministère de l’industrie, et l’utilité publique des projets était examinée par une commission composée en général d’ingénieurs du Corps des mines9. Il semble difficile d’imaginer tout cela aujourd’hui – mais à l’époque, la proposition de généraliser la responsabilité limitée généra une controverse intense outre-Manche. Les conservateurs – et parmi eux, de nombreux évêques et des théologiens – s’en tenaient à la tradition de la common law et considéraient, non sans raison, que le sens moral des commerçants et industriels ainsi que leur honneur était en quelque sorte garanti par la responsabilité illimitée; ainsi, quiconque souhaitait développer un projet entrepreneurial qui pourrait causer du tort à ses voisins faisait mieux d’y réfléchir à deux fois avant de se lancer. L’économiste écossais John McCulloch articulait cette intuition conservatrice à une certaine conception de la morale chrétienne: « In the scheme laid down by Providence for the government of the world there is no shifting or narrowing of responsibilities, every man being personally answerable to the utmost extent for all his actions.”10 A l’autre bout du spectre, cependant, de nombreux chrétiens, socialistes, intellectuels – et notamment, parmi eux, John Stuart Mill – militèrent pour la généralisation de la responsabilité limitée; en diminuant les risques pour les investisseurs et en favorisant la croissance économique, cette mesure allait, selon eux, contribuer à la prospérité de la société britannique, et permettre de combattre la pauvreté. Ils défendaient ainsi une sorte de théorie du ruissellement avant l’heure. Dans les années qui suivirent son adoption, pourtant, il apparut rapidement que le régime de responsabilité limitée n’allait pas être mobilisé comme un outil pour une réforme sociale radicale, mais qu’il allait devenir l’expression ultime du libre-échange et de la liberté contractuelle. Rétrospectivement, il apparaît que cette innovation juridique a surtout permis de sécuriser les intérêts d’une nouvelle classe de rentiers, en lui offrant des opportunités de placement dont à faible risque11. Les associés (qui, sous le régime de la société anonyme, ne seraient bientôt plus que des actionnaires) étaient en effet désormais protégés des dettes de la société; ils ne risquaient rien de plus que leur apport initial – mais pouvaient en revanche envisager des perspectives de gain illimitée12. La diffusion de la responsabilité limitée donna un spectaculaire coup d’accélérateur au processus d’industrialisation; des entrepreneurs qui avaient jusqu’alors hésité à développer des activités risquées (dans la chimie, par exemple), de peur de devoir rembourser des sommes impossibles en cas d’accident (pour dédommager des riverains), pouvaient désormais faire preuve d’une joyeuse désinhibition13. Dans la mesure où il apparaissait comme un facteur de « compétitivité » et d’ « innovation » absolument décisif dans la course à la puissance économique, le régime de responsabilité limitée fut rapidement transposé dans la plupart des pays européens et aux États-Unis au cours des années 1860-7014, sans que le caractère moralement très problématique de cette innovation juridique n’y fasse l’objet d’un réel débat – pas plus au sein de l’Église catholique qu’ailleurs.

Avec un siècle et demi de recul, nous disposons désormais d’un recul suffisant pour évaluer ce régime de responsabilité limitée: et l’on peut sans l’ombre d’un doute en conclure qu’il s’apparente très exactement à ce que le pape Jean-Paul II appelle une « structure de péché » (Sollicitudo Rei Socialis, §§36-37). La catastrophe de Bhopal, survenue en 1984 en Inde, avait révélé de façon très visible ce qui se passe lorsqu’une grande entreprise – en l’occurrence, ici, la multinationale américaine Dow Chemical – se dérobe à ses responsabilités, laissant aux pouvoirs publics le soin de réparer les dégâts et de soigner les nombreuses victimes. Loin d’être exceptionnelle, cette logique de privatisation des gains et de socialisation des pertes est en fait l’ordinaire du capitalisme industriel, en France comme ailleurs. La multiplication des procès climatiques contre les géants des énergies fossiles est en quelque sorte la démonstration ultime de ce que la logique d’accumulation favorisée par la forme sociétaire est fondamentalement aveugle15; les stocks excédentaires de CO2 dans l’atmosphère et les catastrophes climatiques qui leur sont associées ne sont que l’envers de projets extractifs qui n’auraient jamais pu voir le jour sans cette armature juridique, laquelle a au passage permis à une poignée de privilégiés de s’enrichir aux dépens du plus grand nombre, et des équilibres planétaires. Une étude récente estime ainsi le préjudice économique causé par l’industrie des énergies fossiles à plus de 200 milliards de dollars par an16. Si la logique de privatisation des gains et de socialisation des pertes est certainement moins spectaculaire dans le cas des industries tertiaires (comme la vente de coffrets Smartbox ou le site de réservation La Fourchette), elle n’en est pas moins effective – par exemple, en créant des besoins matériels inutiles17, en renforçant les logiques hyperconcurrentielles qui fragmentent et précarisent le marché du travail, en mobilisant des serveurs informatiques énergivores, etc. Il ne s’agit pas, ici, de discuter de l’éventuel cynisme des personnes en poste dans ces industries; mais plutôt de relever le vice principiel qui façonne les entreprises au sein desquelles elles travaillent – vice qui ne les empêche peut-être pas d’être des managers vertueux, mais qui leur interdit en tout cas d’œuvrer collectivement au bien commun.

Malheureusement, le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église catholique (§338-§345) ne se donne pas les moyens de problématiser clairement le régime de la responsabilité limitée. Elle promeut certes une vision « personnaliste » et « communautaire » de l’entreprise; elle insiste par ailleurs sur le fait que celle-ci ne peut être considérée seulement comme une « société de capital », et rappelle qu’elle « est en même temps une société de personnes ». L’ambiguïté de ce « en même temps » est manifeste; et de fait, les paragraphes qui suivent suggèrent qu’une éthique des vertus peut être suffisante pour humaniser l’entreprise et la vie économique. Les coopératives sont bien entendues valorisées (par exemple, par le pape François lors d’un de ses discours au patronat italien), mais sans que l’on comprenne tout à fait pourquoi. L’absence de toute analyse serrée des vices à la forme sociétaire, empêche, pour ainsi dire, de fixer clairement les coordonnées du problème18.

Il apparaît donc qu’on ne peut devenir milliardaire qu’en utilisant de façon astucieuse des véhicules juridiques spécifiques, qui permettent de verrouiller la propriété du capital et, le cas échéant, de la valoriser. Pierre-Édouard Stérin, en ce sens, n’échappe pas à la règle. Mais cette façon de s’enrichir est-elle justifiée? En dépit des angles morts du Compendium de la DSE, on peut faire l’hypothèse que le régime de responsabilité limitée est une structure de péché, et que s’enrichir en y ayant recours est tout sauf anodin. En ce sens, on peut donc avec raison considérer que la fortune d’un milliardaire est en elle-même problématique, avant même de savoir l’usage qui en est faite.

En me limitant à ce point précis (génétique, pourrait-on dire), je n’estime pas avoir fait le tour du problème. Il faudrait également insister sur le fait que lorsqu’on « vend sa boîte », on s’approprie en fait au passage le travail des salariés qui ont permis de constituer sa valeur capitalistique, et qui ne sont rémunérés que pour leur travail; ou encore, rappeler que la capacité d’un individu à influencer à lui seul sur la vie publique en raison de sa fortune personnelle est en soi un problème dans en démocratie, indépendamment de ses opinions politiques. Sur tous ces aspects, l’enseignement de l’Église offre – pas moins que les sciences sociales, mais bien différemment -, des points d’appui pour une critique efficace – d’autant plus mordante, ici, qu’elle s’adresse dans un référentiel normatif auquel Pierre-Edouard Stérin dit prêter une certaine autorité (ses propos sur la « remigration » indiquant tout de même déjà un bon niveau d’incohérence).

A la question, « peut-on vraiment être catholique et milliardaire? », tout catholique honnête, soucieux d’appuyer sa réflexion prudentielle sur le donné socio-historique, devrait, au vu de tout ce qui précède, répondre: « très probablement non ». Et, prenant acte de la stratégie d’influence actuellement déployée dans les milieux d’Église par Pierre-Édouard Stérin, il devrait considérer que celle-ci est délétère, et s’engager en conséquence pour la contrecarrer.

Pierre-Louis Choquet

1Alexandre Chirat, « Marx et l’émergence de la société par actions : fonctions, revenus et classes de la ‘grande industrie’ », Cahiers d’économie politique, 2020, Vol.2, n°78, pp.55-107.

2Frédéric Monferrand, « Domination abstraite? Sur quelques difficultés d’un concept critique », Actuel Marx, 2020, Vol.1, n°67, pp.185-199.

3« Rencontre avec le 1er Business Angel français : Pierre-Edouard Stérin », https://www.youtube.com/watch?v=Aa9CpgrXq4M

4« Pierre-Edouard Stérin et François Durvye, les hommes d’affaires qui aimantent la droite et le RN », Le Monde, 24 février 2025.

5On peut toutefois relever, tout au long du texte biblique, une constante méfiance à l’égard de l’argent ; même celui dont il est dit qu’on peut en faire un usage pragmatique pour se faire des amis est bel et bien dit « malhonnête ». De plus, il me semble qu’il y a une différence non pas de degré, mais bien de nature, entre richesse et ultrarichesse : le pouvoir social du jeune homme riche ou de la généreuse Lydie au Ier siècle est tout autre que celui dont disposent aujourd’hui des individus comme Bernard Arnault ou Elon Musk.

6Voir, par exemple,« Pierre-Édouard Stérin, un ‘George Soros de droite’ » , Le Salon Beige, 28 novembre 2024.

7Pour rappel, les actionnaires d’une société à responsabilité limitée n’encourrent des pertes qu’à la hauteur de leurs apports. En d’autres termes, si vous construisez, après une levée de capitaux, une usine de chimie qui pollue très gravement un cours d’eau, et que l’entreprise est condamnée à verser des millions d’euros au titre du préjudice – celle-ci remboursera autant qu’elle peut, puis mettra la clé sous la porte… mais on ne viendra jamais réclamer davantage de fonds auprès des (ex-)actionnaires. Leur perspectives de gains sont donc potentiellement illimitées (si cete usine est la première d’un groupe qui devient un géant de la chimie), mais les risques de perte sont limités.

8Marie-Laure Djelic, « When limited liability was (still) an issue: mobilization and politics of signification in 19th-century England » Organization Studies, 2013, vol.34, n°5-6, pp.595-621.

9Nourredine Dougui, « Les origines de la libération des sociétés de capitaux à responsabilité limitée, 1856-1863 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1981, t.28, n°2, pp. 268-292.

10Marie-Laure Djelic, op. cit.

11Paddy Ireland, « Limited liability, shareholder rights and the problem of corporate irresponsibility », Cambridge Journal of Economics, 2010, vol. 34, n°5, pp.837-856.

12Grégoire Chamayou, La société ingouvernable: une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris: La Fabrique, 2018, p.294.

13Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique. Paris: Seuil, 2020, p.19.

14François L’Italien, Behemoth capital : genèse, développement et financiarisation de la grande corporation, Montréal: Nota Bene, 2016, pp.101-145.

15Riccardo Fornasari, « The legal form of climate change litigation: an inquiry into the transformative potential and limits of private law », Journal of Law and Political Economy, 2024, Vol.4, n°2.

16Marco Grasso & Richard Heede, « Time to pay the piper: fossil fuel companies’ reparations for climate damages ». One Earth vol.6, n°5, pp.459-463.

17Quand on y pense bien, l’inutilité des services proposés par Smartbox et La Fourchette est, de fait, spectaculaire.

18Les deux séminaires de recherche menés au collège des Bernardins « L’entreprise : propriété, création collective, monde commun » (2012-2014) et « Gouvernement de l’entreprise, création de commun » (2015-2018) ont permis d’ouvrir des débats intéressants à la croisée des sciences politiques, de la gestion critique et de l’économie des conventions – et ce, dans un contexte politique particulier, marqué par la préparation, la discussion, et l’adoption des lois sur le « devoir de vigilance » et sur les « entreprises à mission ». Toutefois, l’absence d’une discussion de fond sur le privilège exorbitant que constitue, pour la forme sociétaire, la responsabilité limitée, a empêché de produire une véritable critique de la grande entreprise. Avec le recul, la faible portée transformatrice des deux lois citées semble confirmer l’optimisme réformiste de ce programme intellectuel.