Lors de la rencontre internationale pour la Paix, organisée ces jours-ci à Paris par la communauté Sant’Egidio, deux amis du collectif Lutte & Contemplation, Claire et Corentin, ont pris la parole lors du forum 18 « Les inégalités questionnent l’économie », pour rappeler le scandale que constitue la présence, parmi les discutants, de Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies. Celle-ci est, à n’en pas douter, liée au fait que son entreprise est l’un des sponsors de cet événement. La chose mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête : alors que l’un des principaux succès diplomatiques de la communauté Sant’Egidio est d’avoir accompagné le processus de paix au Mozambique en 1992, les projets gaziers de TotalEnergies ont, ces dernières années, accéléré la décomposition politique du nord du pays, désormais plongé dans un climat de guerre civile. Une habitante de la région de Palma résume bien la situation en expliquant au journaliste du Monde qu’« ici, l’armée ne défend pas les villageois, mais les ressources ».
Mais revenons à notre panel, au Collège des Bernardins. La scène en elle-même est instructive; après que Claire a rappelé une première fois que la présence de P. Pouyanné est tout à fait inconvenante au vu des atteintes aux droits humains dont son entreprise est complice, c’est à Corentin d’embrayer, une demi-heure plus tard; parlant d’une voix forte, il prend le risque de la parrhèsia – celui d’une parole contraire, qui fait apparaître la vérité nue. Le public ronchonne, tousse, s’exaspère, hausse la voix pour tenter de le faire taire. L’archevêque chargé de la modération est manifestement embarrassé – à moins qu’il ne soit en fait déjà tout à fait rompu à l’art du damage control, désormais maîtrisé par le haut clergé – ; il essaie, en tout cas, de calmer « la jeunesse », décidément toujours encline au romantisme. Reprenant le micro, P. Pouyanné peut enfin répondre, enchaînant les phrases creuses – toujours les mêmes: « qui sommes-nous pour donner des leçons au Sud global? »; « j’aimerais que nous ayons d’autres solutions à proposer, mais nous n’en avons pas », etc. – que l’on dirait extraites d’un communiqué de presse.
Dira-t-on, ici, que Claire et Corentin ont, en haussant le ton, compromis l’esprit d’écoute mutuelle – si cher à la communauté Sant’Egidio et à l’Eglise catholique – qui devait présider aux échanges? C’est probable – et c’est certainement l’avis du président du Collège, apparemment agacé par la désinvolture de ces deux impétrants. Mais ce serait, alors, se replier sur une bien misérable ecclésiologie, qui confondrait la recherche de l’unité et de la paix avec le maintien de l’ordre. On ne peut que constater que cette ecclésiologie (que l’on espère non-réflexive) constitue souvent, par défaut, celles des catholiques. Le rapport de la CIASE et la crise des abus sexuels, ont pourtant fait éclater cette conception des choses, et révélé la nécessité de laisser éclore les « bons scandales », qui exposent la distance, le fossé, entre la foi que la communauté chrétienne professe et son action concrète dans le monde, parfois complètement désastreuse.
Il est urgent de penser à nouveaux frais cette question de la conflictualité dans l’Eglise. La passion de l’unité et de la paix qui anime les chrétien-ne-s est légitime – et elle est, du reste, déjà perceptible dans les encouragements de Paul aux premières communautés. Mais pour qu’elle ne se mue pas en un appel à se conformer à l’ordre des dominants, elle doit accepter de s’articuler à une parole de vérité, parfois aussi tranchante qu’un glaive (Mt 10, 34). Et pour ce qui concerne TotalEnergies, les jeux sont faits, et depuis longtemps; la responsabilité historique de l’entreprise dans la « production du doute » à propos du réchauffement climatique a été établie ; par ailleurs, les philosophes et éthiciens travaillant sur les enjeux de justice climatique sont quasiment unanimes pour considérer que les grandes entreprises pétrolières-gazières du nord portent très clairement atteinte aux droits humains en continuant à développer de nouveaux gisements d’hydrocarbures. La présence de porte-voix de l’entreprise lors d’une « rencontre internationale pour la Paix » n’est, dès lors, pas souhaitable – à moins qu’ils ne soient prêts à reconnaître publiquement la véracité des deux constats à l’instant évoqués.
Nous profitons de cette occasion pour republier, ci-dessous, les passages d’un article du théologien salvadorien Jon Sobrino, initialement publié en 1976. Depuis dix ans, la traversée (pas encore achevée, loin s’en faut) de la crise des abus sexuels nous a habitué à l’idée d’une ecclésiologie laissant plus d’espace au scandale et au conflit; à bien des égards, le texte de Sobrino paraît donc relativement trivial. Mais il faut, ici, éviter de commettre un anachronisme, et rendre justice à la clairvoyance du théologien, qui nous peut nous aider à réfléchir à notre aujourd’hui.
Pierre Beredian
Extrait de : Jon Sobrino, The true Church and the poor, 1985. Londres : SCM Press Ltd., pp. 200-210. Publié initialement sous le titre ‘‘La conflictividad dentro de la Iglesia’ dans Christus – Revista de teología, ciencias humanas y pastoral, n°41, 1976, Mexico, pp. 19-29.
LA NOUVELLE ECCLÉSIOLOGIE ET LA POSSIBILITÉ DU CONFLIT DANS L’ÉGLISE
Mon but dans cette section est de montrer comment une nouvelle ecclésiologie a rendu le conflit dans l’Église à la fois possible et réel. Je ne prétends pas que par sa seule existence en tant que théorie, cette ecclésiologie ait donné lieu aux conflits en question. Je dis qu’une nouvelle ecclésiologie a mis fin à la justification de l’identification de l’unité de l’Église avec l’uniformité et a mis l’Église en contact réel avec le monde, le lieu du conflit. Je ne peux exprimer ce point que de manière schématique, en me concentrant sur les phases réellement significatives de son développement.
L’Église n’est pas le Royaume
L’Église n’est pas le Royaume de Dieu. Je considérerai plus loin la relation positive entre l’Eglise et le Royaume. Pour le moment, je dois souligner la négation de l’identité, car c’est le premier pas pour se débarrasser d’une ecclésiologie fausse aussi bien dans son contenu que dans la méthode utilisée pour justifier ce contenu. Cette découverte de l’ecclésiologie, tenue pour acquise aujourd’hui, a été faite au tournant du siècle. On s’est rendu compte que le message de Jésus était un message eschatologique. En analysant cette réalité eschatologique ou ultime au service de laquelle Jésus agissait, on a découvert que la réalité proprement eschatologique n’est pas l’Eglise mais le Royaume de Dieu. Jésus n’a pas prêché ni établi (au sens conventionnel du terme) une Eglise ; il a simplement proclamé un Royaume de Dieu qui était proche. La réalité ultime et définitive aux yeux de Jésus était le Royaume, non l’Eglise. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de continuité théologique et historique entre Jésus et l’Église (née après sa résurrection) ou que nous ne pouvons pas dire que l’Église a été « fondée » par le Christ. Ce n’est pas le lieu ici de développer positivement ce sujet. L’important ici est que la réalité ultime est le Royaume et que l’Église n’est pas absolue (cette qualité n’appartient qu’au Royaume) mais relationnelle. Comme dans le cas de Jésus lui-même, la nature et la plénitude de l’Église proviennent de sa relation au Royaume. Le message de Jésus sur le Royaume de Dieu implique que le Royaume apporte un jugement (krisis) dans la mesure où la venue de l’ultime critique et relativise toute réalité créée. Le Royaume de Dieu n’arrive pas comme une possibilité inhérente à l’existence présente, mais seulement et toujours comme le résultat d’une rupture. Il n’y a rien de créé ou d’historique qui ne doive passer par la même rupture. Jésus ne pouvait pas parler de la rupture que l’Eglise doit franchir, mais il ressort clairement de son attitude à l’égard des structures, même salvifiques (selon l’Ancien Testament) et chères à Dieu, que le Royaume de Dieu relativise tout : les institutions d’Israël, l’Alliance, la Loi, les traditions mêmes sur Dieu et son Royaume, dans la mesure où elles ont pris une forme concrète, particulière. Le Royaume de Dieu comme réalité nouvelle et le Dieu de Jésus comme Dieu toujours plus grand relativisent la création et la mettent en état de crise. Tout cela a deux conséquences : l’une concerne l’Eglise dans son ensemble ; l’autre concerne la structure institutionnelle de l’Eglise. Si l’Eglise dans son ensemble n’est pas identifiable au Royaume de Dieu, elle est alors critiquable ; de plus, dans la mesure où le Royaume soumet toute réalité créée au jugement, l’Eglise doit être critiquée. Ces affirmations sont générales et, en tant que telles, peuvent être acceptées sans grande difficulté par quiconque ne veut pas nier l’évidence de l’exégèse. Ces affirmations n’expliquent pas directement et adéquatement le conflit actuel au sein de l’Église latino-américaine, mais il est néanmoins fondamental de les accepter pour comprendre la possibilité et le sens d’un tel conflit. Bien sûr, peu de gens prétendraient que l’Église est identifiable au Royaume de Dieu ou, en d’autres termes, qu’elle est absolue ; dans la pratique, cependant, nombreux sont ceux qui agissent souvent comme si l’Église était effectivement le Royaume et un absolu – absolu dans le pape ou le Vatican ou une conférence épiscopale ou dans un mouvement d’avant-garde particulier. La plus grande tentation structurelle pour l’Église naît de son caractère relationnel. D’un côté, l’Église est chargée de la tradition du Royaume et de l’exigence de faire de ce Royaume une réalité ; de l’autre, elle n’est pas elle-même le Royaume. Cette combinaison de facteurs met l’Église dans une situation de « concupiscence », c’est-à-dire de vouloir être, par identité, ce qu’en fait elle ne peut et ne doit que désigner et servir, à savoir le Royaume de Dieu. En conséquence, la possibilité d’un conflit est toujours présente ; Et quand une situation particulière montre clairement la différence et la distance entre l’Église et le Royaume, le conflit éclate – et ne peut pas ne pas éclater – spontanément. La découverte que le Royaume de Dieu est la réalité ultime a mis en lumière une vérité élémentaire : l’Église, même dans son ensemble, n’est pas absolue et donc sa structure est critiquable. Si l’Église n’est pas absolue, alors ses structures ne le sont pas non plus. Chacune de ses structures exerce une fonction, positive en principe, à l’égard de l’ensemble du corps ecclésial. Mais en dernière analyse, quelque chose d’autre porte un jugement sur la hiérarchie et sur les fidèles. La structure de l’Église n’est pas salvifique par sa nature même. Et quelqu’un peut surgir dans l’Église pour lui rappeler cette vérité – quelqu’un dans la hiérarchie ou parmi les fidèles.
La structure de l’Église n’est pas salvifique par sa nature même. Et quelqu’un peut se lever dans l’Église pour lui rappeler cette vérité – quelqu’un dans la hiérarchie ou parmi les fidèles. Quand on prend en compte dans l’Église la différence entre l’Église et le Royaume de Dieu, alors un conflit chrétien peut surgir. Il n’existe en principe aucun mécanisme institutionnel dans l’Église pour étouffer ce genre de protestation, à condition que la critique ne soit pas formulée pour des raisons d’intérêt personnel, mais pour le Royaume. Tout cela ne nous dit pas comment gérer le conflit, qui a le droit et le devoir de l’inciter, et comment le résoudre. Le point ici est que si l’Église est quelque chose de relationnel et non d’absolu, alors elle cesse d’être intouchable, elle est ouverte à la critique. Cette vérité a été reconnue dès le début du Nouveau Testament, mais elle a été oubliée après Trente ; elle a été redécouverte au niveau théorique lors de l’analyse du message eschatologique de Jésus.
L’Église doit suivre Jésus
L’Église doit suivre le véritable Jésus historique. L’Église s’engage dans diverses activités ; elle a une liturgie, une doctrine, une organisation. Mais la chose la plus fondamentale et la plus importante de l’Église est qu’elle suive Jésus. Si elle ne le fait pas, elle corrompt sa propre nature ; si elle le fait, elle fera tout le reste de manière chrétienne. En quel sens la redécouverte du Jésus historique a-t-elle été l’une des causes de conflit ? Permettez-moi de présenter ma réponse en trois parties. Premièrement, Jésus était une entité relationnelle : il ne prêchait pas lui-même ni même Dieu ; il prêchait le royaume de Dieu. Il prêchait le Dieu qui est à portée de main dans son royaume. Cela signifie que Jésus n’est pas un absolu en soi, mais qu’il est en relation avec le royaume de Dieu et avec le Père qui va se révéler à travers lui. En termes absolus, Jésus est le Fils ; mais il n’est en termes absolus le Fils que dans la mesure où il vit du Père et pour le Père. Deuxièmement, Jésus est en relation avec le Royaume non seulement par sa prédication mais aussi par son action. Il ne se contente pas de proclamer une vérité pour la faire connaître ; il met toute sa vie au service de la vérité pour que celle-ci devienne réalité. Il ne se contente pas de prêcher que le Royaume de Dieu est proche ; il s’efforce de rendre le Royaume réel. L’Église moderne a suivi une conception doctrinale de la révélation. Vatican II a essayé de compléter cette vision en ajoutant que la révélation se fait à la fois par des paroles et par des actes, mais le Concile n’a pas prêté suffisamment attention à la relation entre les paroles et les actes de Jésus. On découvre ici que Jésus ne se contente pas de prêcher la venue du Royaume, mais qu’il s’efforce aussi de l’établir, de le rendre réel. Sa vie est consacrée à la pratique du Royaume, comme le montrent son activité en faveur des opprimés, ses miracles, ses exorcismes, sa critique d’une société qui est la négation du Royaume, sa constance dans l’action jusqu’à sa mise à mort. Il n’y a pas ici d’opposition entre parole et action, car la parole comme critique prophétique, ou comme parole de prise de conscience, ou comme parole de défi, ou comme parole comme théorie de ce qui doit arriver, est aussi une pratique. La véritable opposition se situe entre deux conceptions de l’activité de Jésus : l’enseignement sur le Royaume, et la pratique du Royaume qui comprend à la fois des paroles et des actes. Troisièmement, Jésus essaie de faire du Royaume de Dieu une réalité dans sa propre histoire concrète. Cette histoire est dominée par le péché sous ses diverses formes : l’égoïsme et la volonté de puissance des individus et des structures qui sont clairement injustes. Jésus essaie de faire du Royaume une réalité dans cette structure, et non en dehors d’elle. Ses paroles portent un jugement sur la structure de l’intérieur ; sa prédication morale présente une alternative à cette situation ; sa vision de l’avenir s’y oppose ; sa pratique des miracles et de la libération est dirigée contre ceux qui sont au pouvoir. Pour cela, il est persécuté et meurt sur la croix. Il a tenté de faire du Royaume une réalité dans sa propre histoire, pleine de conflits, et c’est pourquoi le pouvoir du péché l’a écrasé. Cette redécouverte du Jésus historique a des conséquences importantes pour la compréhension que l’Église a d’elle-même. Si l’Église voit dans son fondateur non pas n’importe quel Christ, mais le Christ qui est Jésus de Nazareth, alors elle ne peut pas se fonder uniquement ou principalement sur les instructions que Jésus a pu donner concernant l’organisation et la mission de l’Église ; elle doit se fonder d’abord et avant tout sur la vie de Jésus. S’il en est ainsi, cela implique des conséquences pour l’Église qui provoqueront des conflits, du moins dans notre situation historique actuelle. La première est que l’Église ne peut et ne doit pas se prêcher elle-même, pas plus que Jésus ne s’est prêché lui-même. Si l’Église se met consciemment ou inconsciemment en premier, le conflit devient probable dès que quelqu’un rappelle à l’Église que c’est là son péché premier et fondamental. Le conflit fondamental se manifestera par une tension entre la prédication que l’Église fait d’elle-même, la promotion de ses propres institutions, sa tentative de se rendre plus importante et la prédication du Royaume comme quelque chose qui lui est distinct et qui peut même être opposé à la forme historique qu’elle a prise. Ce conflit s’aggravera si l’Église, comme Jésus, passe d’une mission purement de prédication à une mise en pratique du contenu de ce qu’elle prêche. Tant que l’Église considère sa mission comme étant simplement celle de proclamer quelque chose, même quelque chose d’aussi sublime que le Christ, Dieu ou le Royaume, les conflits au sein de l’Église seront relativement mineurs ; ils se réduiront à des problèmes d’orthodoxie ou à des discussions scolastiques sur l’herméneutique et l’approche pastorale les mieux placées pour rendre le message intelligible. Mais lorsque l’Église passe de la « proclamation » à la « mise en pratique » du contenu de ce qu’elle proclame, alors de sérieux conflits commencent. La question clé qui doit être posée à l’Église d’aujourd’hui et qui conditionnera tous les conflits dans l’Église est celle-ci : l’Église cherche-t-elle seulement à annoncer le Christ ou cherche-t-elle aussi à faire ce que Jésus a fait et à le déclarer ainsi comme le Christ ? Il est évident que ces deux alternatives ne s’excluent pas mutuellement, ni même historiquement, car il y a toujours eu quelque chose de l’une ou l’autre dans l’Église. Mais l’accent est différent dans chaque cas et le conflit qui en résultera le sera aussi. Si l’on penche pour la première alternative, il faudra alors connaître la situation historique pour que le message soit intelligible ; mais si l’on penche pour la seconde alternative, il faudra alors supporter la situation historique pour que le contenu de ce qui est prêché devienne réalité. Nous avons ici dans la conception théorique et pratique de la mission de l’Église la racine la plus profonde des divisions et des conflits actuels dans l’Église. Aujourd’hui, l’union et la division des chrétiens trouvent leurs racines dans des conceptions différentes de la mission : la mission est considérée comme une question d’annonce ou comme une question d’action. Le conflit s’intensifie si l’acte est du genre de celui considéré ci-dessus dans le troisième point concernant le Jésus historique.
Le type de mission qui s’inscrit dans la situation historique de l’Amérique latine et qui ne fait pas abstraction du péché dans cette situation suscitera opposition, rejet et persécution de la part des puissants, alors que la simple prédication de la Parole sera généralement tolérée. Si à une pratique particulière de la mission comme réalisation du Royaume nous ajoutons les conséquences empiriques auxquelles elle conduit, nous comprendrons la racine la plus profonde du conflit dans l’Église. La véritable division se situe entre ceux qui veulent défendre l’Église – et ses membres – contre le péché de la société, même si cela se fait de manière subtile en limitant l’activité de l’Église à une proclamation générique de la vérité du Christ, et ceux qui veulent introduire l’Église dans une société pécheresse avec toutes les conséquences que cela comporte. Le conflit n’est donc pas une simple divergence de vues sur la manière dont l’Église peut accomplir sa mission tout en reconnaissant le pluralisme ; il naît plutôt de la conception théorique et pratique de ce que signifie faire du Royaume une réalité. Si la mission chrétienne est de réaliser le Royaume (une tâche très complexe), la possibilité de conflit prend alors une nouvelle dimension, car la mission concerne alors le bien des tiers et, concrètement, le bien des pauvres. J’ai expliqué en détail ailleurs ce que l’on entend par Eglise des pauvres, qui sont les pauvres et quelle est la partialité en faveur des pauvres qui est nécessaire pour que l’évangélisation puisse avoir lieu. Du point de vue de l’analyse du conflit, le point le plus important est que le conflit n’atteint pas son point le plus intense lorsqu’il s’agit de défendre la nature interne de l’Eglise ou même (ce qui est plus caractéristique des pays du premier monde) de défendre les droits de chaque chrétien lorsque ceux-ci sont menacés par l’application de la discipline ecclésiastique. Le conflit devient plus intense lorsqu’il s’agit de défendre les droits d’un groupe déterminé de personnes, qui sur notre continent se trouve être majoritaire. Je veux dire les droits des opprimés, qui sont pour la plupart chrétiens et même catholiques. Cette référence aux pauvres, justifiée par la théologie chrétienne essentielle et par les faits de notre situation, montre qu’une telle mission est urgente au point de ne pouvoir être différée. Une conséquence de cette urgence est une tension entre ceux qui s’engagent dans cette mission et ceux qui, directement ou indirectement, mais effectivement, l’entravent, la déprécient ou lui enlèvent son intensité nécessaire. Puisque les pauvres font partie d’une relation dialectique (c’est-à-dire qu’il y a des pauvres parce qu’il y a des riches et des opprimés parce qu’il y a des oppresseurs), une mission qui s’adresse aux pauvres devient historiquement source d’antagonisme. Poursuivre une telle mission, venir en aide, donner la préférence aux pauvres est impossible sans que les responsables de la pauvreté se sentent attaqués. Bien que la mission de l’Église s’adresse à tous les êtres humains, sa partialité pour les pauvres la conduit à un conflit historique qui divise l’Église en ceux qui sont du côté des pauvres et ceux qui ne le sont pas. Cela explique l’intensité du conflit dans l’Église. Le conflit ne se résume pas à des opinions divergentes proposées par des écoles dissidentes, ni au sort du chrétien dans l’Église. Il s’agit d’une mission entreprise en faveur des plus pauvres et non en faveur de l’Église. Il s’agit d’une mission envers les plus pauvres qui n’a pas pour but de leur dire simplement qu’ils ont un Père aux cieux, mais de les aider à vivre ici et maintenant avec au moins le minimum de dignité propre aux enfants de ce Père. C’est donc une erreur de chercher uniquement dans la subjectivité des individus la cause fondamentale et la solution fondamentale du problème du conflit. Bien sûr, le caractère des individus et des groupes déterminera la forme extérieure du conflit, mais la racine du conflit ne se trouve pas là. Le problème de l’Église d’aujourd’hui n’est pas un problème de psychologie, comme on le suppose souvent, ni un problème de docilité ou de rébellion psychologique ; c’est un problème de mission. La volonté de puissance, sous forme d’affirmation de soi, sera présente dans tous les groupes impliqués dans un conflit, mais le conflit ne se résoudra pas simplement en rejetant cette volonté de puissance. Il sera résolu en précisant clairement ce que doit être la mission chrétienne. En résumé, la source la plus profonde des conflits dans l’Église réside dans les conceptions divergentes de la mission de l’Église. Tant que cette mission reste une simple question de prédication (ce qui n’exclut pas bien sûr l’ajout de certaines exigences éthiques), les conflits dans l’Église seront minimes, comme on le voit dans les parties du monde ou dans les groupes chrétiens qui se préoccupent de problèmes d’orthodoxie ou d’herméneutique ou de l’approche pastorale la plus adaptée pour rendre le message intelligible.
Mais quand l’Église passe de la proclamation à la mise en pratique du contenu de ce qu’elle proclame, alors de graves conflits commencent. La question clé qui doit être posée à l’Église d’aujourd’hui et qui conditionnera tous les conflits dans l’Église est celle-ci : l’Église cherche-t-elle seulement à annoncer le Christ ou cherche-t-elle aussi à faire ce que Jésus a fait et à le déclarer ainsi le Christ ? Il est évident que ces deux alternatives ne s’excluent pas mutuellement, ni même historiquement, car il y a toujours eu quelque chose de l’une ou l’autre dans l’Église. Mais l’accent est différent dans chaque cas et le conflit qui en résultera le sera aussi. Si l’on penche pour la première alternative, il faudra alors connaître la situation historique pour que le message soit intelligible ; mais si l’on penche pour la seconde, il faudra alors supporter la situation historique pour que le contenu de ce qui est prêché devienne réalité. Nous avons ici, dans la conception théorique et pratique de la mission de l’Église, la racine la plus profonde des divisions et des conflits actuels dans l’Église. Aujourd’hui, l’union et la division des chrétiens trouvent leurs racines dans des conceptions différentes de la mission : la mission est considérée comme une proclamation ou comme une action. Le conflit s’intensifie si l’action est celle que nous avons évoquée au troisième point sur Jésus historique. Le type de mission qui s’implique dans la situation historique de l’Amérique latine et qui n’ignore pas le péché dans cette situation suscitera l’opposition, le rejet et la persécution de la part des puissants, alors qu’une simple prédication de la Parole sera généralement tolérée. Si à une pratique particulière de la mission comme réalisation du Royaume nous ajoutons les conséquences empiriques auxquelles conduit une telle pratique, nous comprendrons la racine la plus profonde du conflit dans l’Église. La véritable division se situe entre ceux qui veulent défendre l’Église – et ses membres – contre le péché de la société, même si cela se fait de manière subtile en limitant l’activité de l’Église à une proclamation générique de la vérité du Christ, et ceux qui veulent introduire l’Église dans une société pécheresse avec toutes les conséquences que cela comporte. Le conflit n’est donc pas une simple divergence de vues sur la manière dont l’Église peut accomplir sa mission tout en reconnaissant le pluralisme ; il naît plutôt de la conception théorique et pratique de ce que signifie faire du Royaume une réalité. Si la mission chrétienne est de réaliser le Royaume (une tâche très complexe en effet), alors la possibilité d’un conflit acquiert une nouvelle nuance, car la mission concerne alors le bien des tiers et concrètement le bien des pauvres. J’ai expliqué ailleurs en détail ce que l’on entend par l’Église des pauvres, qui sont les pauvres et quel type de partialité est nécessaire pour que l’évangélisation puisse avoir lieu. Du point de vue de l’analyse du conflit, le point le plus important est que le conflit n’atteigne pas son point le plus intense lorsqu’il s’agit de défendre la nature interne de l’Église ou même (ce qui est plus caractéristique des pays du premier monde) de défendre les droits de chaque chrétien lorsque ceux-ci sont menacés par l’application de la discipline ecclésiastique. Le conflit devient plus intense quand il s’agit de défendre les droits d’un groupe déterminé de personnes, qui sur notre continent est majoritaire. Je veux parler des droits des opprimés, qui sont en grande partie chrétiens et même catholiques. Cette référence aux pauvres, justifiée par l’essence de la théologie chrétienne et par les faits de notre situation, montre qu’une telle mission est urgente au point de ne pouvoir être différée. Une conséquence de cette urgence est la tension entre ceux qui s’engagent dans cette mission et ceux qui, directement ou indirectement, mais effectivement, l’entravent, la déprécient ou lui enlèvent l’intensité nécessaire. Puisque les pauvres font partie d’une relation dialectique (c’est-à-dire qu’il y a des pauvres parce qu’il y a des riches et des opprimés parce qu’il y a des oppresseurs), une mission qui s’adresse aux pauvres devient historiquement une source d’antagonisme. Poursuivre une telle mission, aider, donner la préférence aux pauvres est impossible sans que les responsables de la pauvreté se sentent attaqués. Bien que la mission de l’Église soit destinée à tous les êtres humains, sa partialité envers les pauvres la conduit à un conflit historique qui divise l’Église entre ceux qui sont du côté des pauvres et ceux qui ne le sont pas. Cela explique l’intensité du conflit au sein de l’Église. Le conflit ne porte pas sur des opinions divergentes proposées par des écoles dissidentes ni sur le sort du chrétien au sein de l’Église. Il s’agit d’une mission entreprise en faveur des plus pauvres et non en faveur de l’Église.
Il s’agit d’une mission envers les plus pauvres qui a pour but non seulement de leur dire qu’ils ont un Père aux cieux, mais de les aider à vivre ici et maintenant avec au moins le minimum de dignité propre aux enfants de ce Père. C’est donc une erreur de chercher uniquement dans la subjectivité des individus la cause fondamentale et la solution fondamentale du problème du conflit. Bien sûr, le caractère des individus et des groupes déterminera la forme extérieure du conflit, mais la racine du conflit ne se trouve pas là. Le problème de l’Église d’aujourd’hui n’est pas un problème de psychologie, comme on le suppose souvent, ni un problème de docilité ou de rébellion psychologique ; c’est un problème de mission. La volonté de puissance, sous la forme d’affirmation de soi, sera présente dans tous les groupes impliqués dans un conflit, mais le conflit ne se résoudra pas simplement en rejetant cette volonté de puissance. Il se résoudra en clarifiant ce que doit être la mission chrétienne. En résumé, la source la plus profonde du conflit dans l’Église réside dans les conceptions divergentes de la mission de l’Église. Tant que cette mission reste une simple prédication (ce qui n’exclut pas, bien sûr, l’adjonction de certaines exigences éthiques), les conflits dans l’Église seront minimes, comme on le voit dans les parties du monde ou dans les groupes chrétiens qui se préoccupent de problèmes d’orthodoxie, d’herméneutique ou de pastorale la plus apte à rendre le message intelligible. Mais si la mission de l’Église est comprise comme un faire, une action entreprise pour que Jésus soit proclamé comme le Christ, alors de graves conflits surgissent, comme le montre la situation latino-américaine. Le faire en question sera celui de Jésus, un faire qui expliquera Jésus, mais en dernière analyse il s’agira d’une construction du Royaume de Dieu et non d’une simple information sur ce qu’est le Royaume ou sur la forme qu’il doit prendre. Ainsi comprise, la mission de l’Église a le pouvoir d’attirer de nombreux chrétiens et de briser les barrières qui ont séparé les évêques, les prêtres et les laïcs. La mission ainsi comprise divise aussi et est donc source de conflits car elle signifie défendre non pas la cause de l’Église mais une cause extérieure, celle des pauvres. Si nous définissons la mission de l’Église de la manière que je viens de décrire, tous les problèmes que les chrétiens rencontrent à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église ne disparaîtront pas, et nous n’aurons pas non plus expliqué toutes les nuances des conflits intraecclésiaux. Il est donc nécessaire d’étudier en complément la volonté de puissance telle qu’elle se manifeste chez divers individus et groupes. Mais l’affirmation fondamentale demeure : les conflits majeurs dans l’Église surgissent lorsque l’Église conçoit sa mission comme étant avant tout celle de faire du Royaume une réalité.
Les conflits dans le monde se reflètent dans l’Église
Lorsque l’Église accomplit sa mission comme Jésus l’a fait, les conflits dans le monde entrent aussi dans l’Église. Selon la tradition biblique la plus ancienne, le monde est un monde de péché. Ce que la pensée contemporaine a ajouté à cette vérité est la vision que les prophètes d’Israël et plus tard Jésus de Nazareth avaient de ce péché, à savoir que le péché dans le monde provoque la division des êtres humains et la poursuite d’intérêts concurrents ; ils se séparent en groupes ou en classes qui sont en conflit les uns avec les autres. L’exercice de la mission de l’Église dans un tel monde « pose certainement des problèmes à l’universalité de l’amour chrétien et à l’unité de l’Église. Mais toute considération de ce sujet doit partir de deux points essentiels : la lutte des classes est un fait, et la neutralité en la matière est impossible. » Tant que la mission de l’Église sera conçue en termes doctrinaux les conflits dans le monde ne terniront pas l’Église. « Les chrétiens de gauche, de droite et du centre s’accorderont à dire que Jésus-Christ est vrai homme et vrai Dieu, que Dieu est une personne en trois personnes, que par sa mort et sa résurrection Jésus a racheté la race humaine… »* De plus, si dans sa prédication l’Église met l’accent sur le caractère absolu de Dieu, alors il est possible, comme nous le voyons en Europe, de rappeler sans cesse aux gens la condition eschatologique que cet Absolu impose à toute réalisation humaine. Alors le conflit dans le monde sera considéré comme regrettable mais (en pratique) pas très important. On rappellera en effet fréquemment que la foi chrétienne comporte certaines exigences éthiques, que les chrétiens doivent rendre le monde meilleur, etc., mais la condition eschatologique enlèvera toute force à ce message éthique. Si la mission de l’Église est de faire du Royaume une réalité comme l’a fait Jésus, c’est-à-dire dans l’histoire, alors les chrétiens doivent se situer dans cette histoire réelle avec son conflit inhérent.
« Vouloir couvrir pieusement cette division sociale par une unité fictive et formaliste, c’est éviter une réalité difficile et conflictuelle et s’inscrire définitivement dans la classe dominante. C’est falsifier le véritable caractère de la communauté chrétienne sous le prétexte d’une attitude religieuse qui prétend se placer au-delà des contingences temporelles. » (Gutiérrez, A Theology of Liberation, p. 277)
La division sociale devient alors une division à l’intérieur de l’Eglise. Elle n’aurait aucune raison d’être si tout le corps de l’Eglise prenait le même parti et défendait les mêmes intérêts. Mais en réalité, il n’en est pas ainsi : d’abord parce que les chrétiens eux-mêmes appartiennent à des classes sociales différentes et ensuite parce que dans leur travail dans le monde extérieur à l’Eglise ils adoptent des attitudes différentes. Ce qui rend la division si aiguë, c’est que l’action concerne le concret. Les chrétiens doivent, bien sûr, agir avec un jugement critique ; ils doivent accepter et vivre la tension entre un amour qui s’étend en principe à tous les êtres humains et un amour qui, pour être efficace, doit opter pour certains individus concrets. Même lorsque toutes ces conditions sont remplies, on ne peut nier que l’action signifie choix et concrétude. Cela signifie que l’idéologie chrétienne doit se concrétiser dans des idéologies qui, bien que unilatérales, nous mettent effectivement sur la voie d’une libération concrète ; cela signifie choisir des modalités concrètes d’action. Dans ce processus de concrétisation, des identifications effectives et affectives avec divers groupes se forment et des risques sont pris. De cette concrétisation, requise par la mission chrétienne lorsqu’elle est comprise comme action, naît le conflit dans l’Église. Par cette action, le conflit existant dans la société s’introduit dans l’Église. Le conflit est un fait dans l’Église latino-américaine ; il éclate au grand jour lorsque les chrétiens choisissent de faire du Royaume une réalité et lorsqu’ils choisissent dans un esprit critique les médiations concrètes qui semblent les plus efficaces à ce moment de l’histoire. Pour comprendre la nature du conflit, il est important de ne pas l’analyser uniquement dans sa phase finale. Si l’analyse est ainsi restreinte, des voix s’élèveront pour dire que ce qui est en réalité un conflit ecclésial est analysé en termes sociologiques et que certains chrétiens essaient « d’assigner un sens sociologique à “peuple de Dieu” ». Une telle objection est une tentative d’éviter une analyse théologique du conflit ; elle suppose que l’unité de l’Église est « le cœur même de toute ecclésiologie » et que le conflit est donc indésirable.
LA VRAIE NATURE DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE
On dit souvent que l’unité – en général et de l’Église en particulier – est un bien. Exprimée à ce niveau de généralité, l’affirmation est correcte, mais elle est idéaliste. Dans le Nouveau Testament, l’unité de l’Église est vue comme quelque chose d’eschatologique, quelque chose qui n’est pas simplement donné mais qui doit être réalisé, quelque chose à construire au cours de l’histoire. Nous revenons ainsi une fois de plus à la sphère de l’histoire. […] Le problème de l’unité de l’Église ne se pose pas correctement ni ne se résout en se concentrant sur l’unité en tant que telle, mais en se concentrant sur le contenu des principes qui donnent naissance à l’unité. À partir de ce contenu, nous devons juger à la fois les aspects positifs de l’Église qui promeuvent ce contenu et le conflit intraecclésial dans la mesure où il est, paradoxalement, au service de ce contenu. Pour montrer plus en détail comment l’unité de l’Église est construite de manière chrétienne et quel rôle positif le conflit peut jouer dans la réalisation de l’unité des chrétiens, je considérerai deux aspects de l’Église. Formellement, ils ne sont pas caractéristiques de l’Église seule, mais ils jouent un rôle dans l’Église en tant que réalité historique et théologique. Je me réfère à l’aspect institutionnel et à l’aspect prophétique de l’Église. […] Les deux dimensions, prophétique et institutionnelle, doivent, par leur structure, être une aide réelle au processus par lequel l’unité s’établit dans l’Église. Cela ne veut pas dire que la prophétie et l’institution, par leur structure même, tendent à être pécheresses et qu’elles provoquent des conflits qui ne sont ni nécessaires ni chrétiens, mais plutôt le produit du péché. Mais il fait partie du caractère historique de l’Église que les deux dimensions, les deux formes de service de l’unité, soient souvent en tension et même en opposition et qu’elles doivent donc être amenées à l’unité historique. Cela se fera non pas en vertu d’une loi sociologique générale, mais en vertu de la substance même du christianisme. L’Église existe pour servir le Royaume de Dieu, le Dieu toujours plus grand ; mais le Royaume est une réalité utopique. L’Église en tant qu’institution aura tendance à oublier la véritable réalité du Royaume et à assimiler sa réalité actuelle au Royaume de Dieu ; elle aura tendance à penser qu’elle connaît et possède déjà le Dieu toujours plus grand. C’est pourquoi le signe que l’Église est vivante est le fait que, du sein de l’Église institutionnelle, des chrétiens se lèvent pour rappeler et concrétiser la vérité élémentaire selon laquelle l’Église n’est pas le Royaume et que le Dieu que l’Église prêche est plus grand que toutes les structures de l’Église. Ernst Bloch, un marxiste qui juge le phénomène religieux comme un phénomène extérieur, a dit que « la religion a pour meilleure caractéristique de produire des hérétiques », car selon lui « là où il y a religion, il y a espoir ». En termes chrétiens, cela signifie que l’Église est vivante lorsqu’elle est capable de mettre le doigt sur l’espérance et de la maintenir vivante. Mais cela n’est pas possible historiquement sans des rejets concrets qui montrent que le contenu de l’espérance chrétienne ne peut pas être identifié avec le contenu spécifiquement ecclésial. Pour cette raison théologique, le conflit est une nécessité dans l’Église. C’est le moyen d’empêcher l’Église de devenir rigide et de nier par son existence même ce qu’elle prêche, même si parfois elle le prêche sans conviction, à savoir que Dieu est plus grand et que le Royaume de Dieu est plus grand que l’Église. L’Église institutionnelle incarne à long terme ce qui commence comme pure prophétie (le type de chose qui a fait son apparition, par exemple, à Vatican II et à Medellin).