L’élection présidentielle approche. Une enquête IFOP publiée en février dernier indique que 33% des catholiques pratiquants pourraient orienter leur vote vers Marine Le Pen ou Eric Zemmour. Si l’Église – disons, sa hiérarchie – s’en inquiète certainement en privé, elle semble s’en accommoder en public. Or, à nos yeux, ces candidats sont des fascistes. Et comme chrétiens, nous sommes en devoir de dire clairement : non.
Nommer le fascisme et ses avatars
Il est d’usage que les évêques, à l’approche des grands rendez-vous politiques, et en particulier de l’élection présidentielle, publient un document écrit pour aider les citoyens catholiques dans leur discernement. Il s’agit, à chaque fois, de remettre sur le métier cette seule et même question : comment le chrétien peut-il, doit-il prendre part aux affaires du monde – s’il croit que le messie est déjà venu, et que nous ne sommes plus que dans le temps de l’après? C’est là l’inconfort bimillénaire de la vie chrétienne, qui parfois semble finir par se laisser apprivoiser. Ainsi les évêques proposent-ils cette année une réflexion toute en modération, puisant aux deux sources de l’Écriture et de la tradition de l’Église pour rappeler les intuitions fondamentales de la doctrine chrétienne.
Pourtant, au fil des années et des élections, quelque chose semble aller de travers. Car si le style conciliant des évêques perdure, il semble que la situation politique, elle, évolue à toute vitesse. Sur les cinq ans du quinquennat d’Emmanuel Macron, l’extrême-droite n’a eu de cesse de gagner du terrain. Ainsi, à en croire le sondage IFOP précédemment cité,1 si le vote des catholiques pratiquants irait prioritairement vers Valérie Pécresse, celle-ci est bien moins plébiscitée (25%) que ne l’était François Fillon en 2017 à quelques mois du premier tour (46%), alors qu’elle tient pourtant un discours identitaire décomplexé, arc-bouté sur la défense des « racines chrétiennes ». Ces 21% ont été tout simplement siphonnés par la hausse des intentions dirigées vers Marine Le Pen (18%) et plus encore vers Éric Zemmour (15%). Ce dernier a reçu l’appui de la plupart des figures de la droite conservatrice – Christine Boutin, Jean-Frédéric Poisson, François-Xavier Bellamy (il lui donnera son vote dans le cas d’un éventuel second tour contre l’actuel président) – et s’affirme comme héritier de la droite « hors les murs » galvanisée par la Manif pour tous.
Autour de nous, nous repérons l’installation progressive, chez beaucoup de catholiques, de l’idée que l’extrême-droite « pose de bonnes questions », « a enfin le courage de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », etc. Dans le même temps, la dite extrême-droite ne se prive pas pour se porter garante d’une religion chrétienne qu’elle dit menacée par l’islam (surtout) et par l’individualisme et le consumérisme (qui font alors l’objet de simples condamnations morales, parfaitement inoffensives sur le plan politique). Ainsi, les uns – catholiques nostalgiques – tendent le miroir de leurs névroses aux autres – entrepreneurs de peur -, qui le leur renvoient bien.
Pour préoccupante, cette situation n’en reste pas moins compréhensible. Nous vivons une période de multiplication et de superposition des crises (gilets jaunes, pandémie de Covid-19, conflit en Ukraine). Dans ce contexte, l’instrumentalisation politique du catholicisme répond à la nostalgie d’un monde d’ordre, structuré par des principes hiérarchiques qui, pris ensemble, forment un tout harmonieux, apparemment sécurisant. Mais le problème, ici, apparaît immédiatement : si la voie chrétienne peut répondre à bien des aspirations humaines, elle ne peut en aucun cas combler un besoin de sécurité. Préférer à la vie dangereuse à laquelle elle engage les rigidités religieuses qu’elle laisse dans son sillage, vouloir faire d’elle un socle bien solide pour la vie sociale, c’est la tuer immédiatement – ce qu’avait bien compris le pape Pie XI lorsqu’il décida, en 1926, de condamner l’Action Française. Le tournant, pour l’Eglise de France, avait été aussi radical qu’irréversible: il n’y aurait plus de retour en arrière. Et aujourd’hui, nos évêques, dans leur grande majorité, n’en pensent pas moins.
Ce qui prédomine chez eux pourtant, c’est la peur du conflit et de la division. Ainsi leurs textes d’intervention se font-ils de plus en plus prudents. Ce qui leur manque – ou plus généralement, à des textes qui pourraient avoir valeur d’autorité dans l’Église –, c’est de dire très clairement que certaines propositions politiques bien précises, c’est-à-dire celles de Marine Le Pen, Éric Zemmour, et tendanciellement Valérie Pécresse, concourent à la désintégration du corps social, et qu’en ce sens elles devraient être vigoureusement refusées et combattues par les chrétiens.2 Prendre acte du racisme de plus en plus décomplexé dont ces candidats font preuve suffit, bien entendu, à poser ce diagnostic – la course vers l’abîme des deux premiers entraînant la troisième dans leur naufrage.3
Mais on oublie souvent que partout en Europe, les partis populistes d’extrême-droite entretiennent des liens denses avec les milieux économiques, et n’hésitent pas à intensifier les logiques ultra-libérales du capitalisme contemporain lorsqu’ils accèdent au pouvoir, quitte à accroître l’injustice sociale et la destruction écologique – tout en niant ou en minimisant constamment leur réalité.4 Il n’y a pas de raison pour que cela soit foncièrement différent en France.5 Et sur les neuf heures qu’ont duré le débat de la primaire Les Républicains (le moins populiste des trois partis considérés), seules seize minutes ont été consacrées au réchauffement climatique, et dix secondes à la disparition de la biodiversité. À la place, on a parlé islam, austérité, immigration, wokisme, etc. en reprenant ainsi en chœur les thématiques chères aux cousins plus si lointains du Front National et de Reconquête!. Chez les grands partis de droite, à part quelques grandes déclarations de principe sur les enjeux bioéthiques (dont rien n’indique d’ailleurs qu’elles ne soient pas avant tout électoralistes6), on est donc bien en peine de trouver des éléments de programme qui aient la moindre affinité avec la doctrine sociale prise comme un tout cohérent et radical – surtout si l’on tient compte de ses derniers développements magistériels, avec les encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti.
Peut-être faut-il donc donner aux choses le nom qu’elles méritent, une bonne fois pour toutes. Car lorsque la détestation de l’autre fondée sur un critère ethno-racial devient le propulseur d’une dynamique politique qui prétend à l’hégémonie – seuil que franchissent sans trembler Marine Le Pen et Éric Zemmour –, cela porte un nom : le fascisme.
Il ne s’agit pas, ici, de descendre dans des arguties terminologiques sans fin : il est évident qu’on ne peut transposer bêtement le contexte des années 1930 à la situation actuelle ; mais il est tout aussi bête de ne pas repérer entre les deux époques comme un air de famille. Ainsi, nous nous attachons surtout au terme fascisme pour la clarification qu’il permet d’opérer – en faisant apparaître de façon claire et distincte une pensée qui est ennemie.
Bien sûr, on nous dira: vous faites la morale, vous vous croyez supérieurs, etc. Mais non! Il ne s’agit pas de dire aux personnes que « c’est mal! », que « tu n’es pas un vrai chrétien si tu votes untel, ou unetelle ». Ces condamnations, nous ne pouvons pas les prononcer, car Dieu seul connaît le cœur des hommes. Nous disons juste : « Nous ne comprenons pas! », ou encore ; « À vue humaine, ce vote dont vous vous réclamez est insensé, incompréhensible, injustifiable en christianisme! »
Cette parole, nous l’affirmons en conscience, parce qu’elle vient de notre fréquentation régulière des Écritures, de la théologie, de l’histoire de l’Église, des textes des papes et du magistère. Peut-être ressemble-t-elle à du « moralisme ». Mais ce n’est en aucun cas notre intention. Car en définitive, comme chrétiens, c’est le Christ que nous voulons imiter ; et malgré les apparences, celui-ci n’a jamais fait la morale aux Pharisiens. Il leur a simplement montré que leur littéralisme, leur inflexibilité, leur rigidité étaient surtout pour eux des façons de se cacher derrière leurs peurs, pour se protéger de la vie des relations – immanquablement incertaine, fragile, risquée. En ce sens, la parole du Christ était bien moins morale que politique : s’il invitait ses interlocuteurs à se soucier des relations qu’ils tissaient autour d’eux, c’est parce que c’est d’abord à travers elles que s’atteste la densité mystérieuse de leur lien avec le Père.
Apprendre de l’histoire – à tout le moins, essayer
L’histoire de l’Église catholique fourmille de vies fulgurantes, de saintetés cachées, de témoins extraordinaires. Mais elle compte aussi son lot de naufrages – et le plus souvent, ceux-ci sont collectifs.
A la faveur de la crise ukrainienne qui révèle au grand jour l’indigence du nationalisme religieux dans sa version russe-orthodoxe, les catholiques peuvent s’estimer heureux d’avoir été préservés de cette tentation par l’ultramontanisme papal qui, depuis les tragédies du XXe siècle, a résolument œuvré en faveur des apaisements. Ils ne devraient pas pour autant s’en laver les mains, car l’apprentissage a été long et difficile – et quelques noms, cités pêle-mêle, suffisent à rappeler des souvenirs honteux. Franco, Salazar, Pinochet, Somoza ; combien de régimes autoritaires ont flatté les hiérarchies ecclésiales en installant un pouvoir d’ordre se réclamant des principes chrétiens – le plus souvent, face à une supposée menace communiste – pour mettre en place ensuite des systèmes de terreur, d’une violence répressive parfois inouïe ?
Plusieurs figures de l’épiscopat, suffisamment connues pour qu’il soit besoin de les nommer, ne verraient pas d’un mauvais œil l’élection d’un(e) Président(e) de la République fasciste. La grande majorité des autres estiment que cela n’arrivera pas, et préfèrent se taire, pour ne pas créer des divisions au sein de l’Église – celles-ci pourraient rétrospectivement paraître inutiles, en cas de réélection d’Emmanuel Macron. En fait, cette stratégie de conciliation constante semble être celle qui prédomine dans la quasi-totalité des pays européens. Il s’agit de ne pas faire de vague, de préserver l’unité. On comprend, bien sûr, ce qui amène les évêques modérés à rappeler qu’« il n’y a pas un vote catholique, mais des catholiques qui votent ».7 A court terme, cette approche permet à chaque chrétien d’être renvoyé à la non-évidence de son choix politique – ce qui semble déjà suffisant pour bousculer toutes celles et ceux qui, avec assurance, se sentent investis de la mission de protéger la « civilisation chrétienne ». A long terme cependant, il y a fort à parier que ce choix stratégique de « parler à demi-mot des choses qui fâchent » puisse finir par se refermer comme un piège sur les évêques,8 et sur tout le corps ecclésial.
C’est du moins l’un des enseignements que l’on peut tirer de la lecture de Torture et Eucharistie, le célèbre ouvrage du théologien américain William Cavanaugh. Ayant vécu au Chili dans les années 1980 et assisté aux dernières années de la dictature militaire du général Pinochet, Cavanaugh a été durablement marqué par cette expérience, et en a fait la matière d’une réflexion sur le problème théologico-politique. Comment est-il possible que la hiérarchie de l’Église catholique ait mis autant de temps à sortir de son engourdissement face à la junte ? Pourquoi les évêques ont-ils, pendant les premières années de la dictature, privilégié les tractations secrètes avec les dignitaires du régime, plutôt qu’une stratégie de dénonciation publique ? On s’en doute, leur raisonnement était prudentiel : face à un régime qui n’hésitait pas à emprisonner, torturer, assassiner, ils ont choisi de ne pas élever la voix afin d’organiser la protection des victimes, quitte à risquer, en public, la compromission.
C’est la force du récit de William Cavanaugh que de nous donner à suivre les tâtonnements des évêques chiliens alors qu’ils cherchent à se positionner vis-à-vis du régime de Pinochet, qui peu à peu déploie son système de terreur. Ainsi, si les évêques chiliens commencent par adopter un silence prudent, ils changent d’attitude à partir de 1975, dénoncent publiquement les exactions du régime tout en déployant une vaste œuvre de défense des victimes et d’organisation sociale dans les quartiers pauvres, devenant par là le principal organe de lutte pour les droits de l’homme sous la dictature. Dans un document daté de mai 1977, les évêques chiliens déclarent ainsi : « L’Eglise sait qu’il y a des personnes qui veulent se servir d’elle : c’est un risque inhérent à toute incarnation. Mais elle sait que l’absence et le silence impliquent un danger comparable à celui de la parole et de la présence. » En 1983, l’assemblée plénière de la conférence épiscopale ira jusqu’à souscrire à l’excommunication des tortionnaires et de leurs complices.
Bien entendu, énormément d’éléments de contexte étaient spécifiques à la situation chilienne. Mais ce cas a le mérite de nous interpeller : à partir de quand faut-il faire sécession avec une force politique qui déploie un imaginaire fasciste, où la violence du langage prépare celle qui sera bientôt dirigée contre les corps ? Au Chili, il n’est pas exclu que la prudence première des évêques, leur volonté de préserver la paix, ait été contre-productive. Pourquoi serait-ce si différent aujourd’hui ? Ne pouvons-nous pas, collectivement, apprendre de l’histoire, et éviter de répéter les mêmes erreurs ?
La résurgence des discours d’extrême-droite dit, en creux, les vulnérabilités du temps présent – qu’elles soient sociales, économiques, culturelles. Le besoin d’autorité et la nostalgie de l’ordre prospèrent aujourd’hui comme hier sur les ruines d’un capitalisme qui, à force d’avoir approfondi les dépendances matérielles entre des territoires distants, devient littéralement ingouvernable – sauf à déployer des pelotons de CRS pour discipliner les foules mécontentes (gilets jaunes) – lorsque survient la crise. Il ne s’agit pas, ici, de dire que la résurgence de la haine de l’autre n’est que l’effet de la dégradation des conditions socio-économiques – mais plutôt de souligner que la seconde exerce de puissants effets d’entraînements sur la première.9
Dans les Exercices spirituels, Ignace de Loyola écrit : « Tout bon chrétien doit être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner ; et s’il ne peut la sauver qu’il s’enquière de la manière dont il la comprend et, s’il la comprend mal, qu’on le corrige avec amour » (§ 22). Les choses sont donc claires: lorsque l’on s’est assuré d’avoir généreusement écouté et bien compris la proposition de l’autre, et lorsqu’il apparaît qu’elle ne peut, manifestement, pas être sauvée, il est nécessaire de tracer des lignes rouges. Autrement dit, on ne peut pas toujours être dans l’empathie. Sinon on se laisse absorber par les autres ; leur langage et leur façon de cadrer les problèmes nous envahissent, et désamorcent notre vigilance. Nous nous habituons à des discours de méfiance, puis de haine ; nous haussons les épaules, en soupirant. La défaite n’est plus loin. À moins qu’elle n’ait déjà eu lieu.
L’unité n’est pas déjà-là : elle a besoin de notre foi et de notre engagement pour se construire
Peut-être le temps est-il venu d’aller au devant de ce qui déjà se dessine. Nous le pressentons : autour de nous, l’Église est déjà parcourue de lignes de fractures, et celles-ci ne cessent de se renforcer. Comment pouvons-nous voir, lors d’une célébration, des personnes afro-descendantes manifestement issues de classes populaires s’asseoir sur les mêmes bancs que des personnes blanches, et ne pas être troublés à l’idée que les seconds puissent voter contre les premiers, en choisissant un(e) candidat(e) dont les propos sont d’une violence extrême à l’égard des personnes racisées ?
Bien sûr, l’Esprit souffle au milieu de nous, les croyants, les pécheurs : nous pouvons trouver des chemins de réconciliation, avancer un peu mieux ensemble. Mais pour que cela arrive, n’est-il pas temps d’abandonner les formules prudentes et les demi-mesures, d’oser créer du « bon scandale », quitte à accélérer des fragmentations latentes ? N’est-il pas temps de renvoyer à leurs contradictions celles et ceux d’entre nous qui prétendent défendre la « civilisation chrétienne » en votant pour un candidat qui se dit lui-même « pour l’Église, contre le Christ »?10 N’est-il pas temps de rappeler haut et fort, que celles et ceux qui aspirent à devenir chrétiens savent qu’ils n’ont « nulle part où reposer la tête » (Mt 8:20), et qu’ainsi, l’Évangile est inévitablement porteur d’une vie politique anti-identitaire et profondément universaliste ?
Peut-être serait-ce là une façon très efficace d’évangéliser – même si elle implique, à court terme, des ruptures. Depuis plus d’une cinquantaine d’années, les sociétés occidentales sont confrontées à une véritable lame de fond : la « montée de l’insignifiance ».11 Les bouleversements planétaires qui se profilent à l’horizon (et dont les signes avant-coureurs font déjà l’actualité) détruisent toute possibilité de projection, et les capacités de représentation et d’action collectives se disloquent jour après jour, sur fond de triomphe de la concurrence et de concentration des richesses.
Dans ces conditions, comment devenir vivant ?
C’est là la question existentielle du siècle à venir, à laquelle toutes les personnes de bonne volonté se trouvent déjà confrontées. Si le christianisme tente d’y proposer une réponse – et il le peut tout à fait – il restera crédible. Mais s’il veut y arriver, il ne peut plus, ne doit plus opérer comme un refuge pour des européens en mal de sécurité identitaire. Dire que le christianisme est à choisir plus qu’à défendre,12 c’est un premier pas : mais il faut aller plus loin, et nommer l’adversaire. Et, à la manière du pape François agir toujours plus audacieusement, demander à Dieu la grâce de ne pas avoir peur du « bon scandale ». Face aux velléités d’instrumentation de la droite extrême et de l’extrême-droite, il faut nous rendre toujours plus irrécupérables.
Collectif Anastasis
Notes
1 IFOP – Les catholiques pratiquants et l’élection présidentielle de 2022. (retour)
2 L’espérance ne déçoit pas, publié par la Conférence des évêques de France en février 2022, s’avère particulièrement décevant de ce point de vue. Si nombre de figures de l’épiscopat avaient invité les électeurs à « discerner les valeurs fondatrices de la démocratie » et à faire barrage à l’extrême-droite après le premier tour des élections présidentielles du 21 avril 2002, les prises de position de ce genre se sont faites de plus en plus rare à mesure que le Front National s’installait dans le paysage politique. (retour)
3 Ainsi, Éric Zemmour et Marine Le Pen sont-ils régulièrement « gênés » de constater que leur parti compte des néo-nazis et négationnistes en tous genres. Quant à Valérie Pécresse, on ne la rangera certes pas dans la même catégorie, mais on constatera qu’elle s’est tout de même illustrée en reprenant à son compte le 13 février lors d’un meeting l’expression du « grand remplacement » qui cristallise tous les fantasmes de l’extrême-droite – ce qui en dit certainement long sur sa tolérance au racisme. (retour)
4 Voir à cet égard le rapport exhaustif de l’ONG Corporate Europe Observatory : « Europe’s two-faced authoritarian right: ‘anti-elite’ parties serving big business interests », mai 2019. (retour)
5 L’argument selon lequel les programmes d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen pourraient être un rempart au néolibéralisme économique est nul et non avenu. L’un et l’autre bénéficient déjà de soutiens dans les milieux d’affaires qui, même s’ils préfèrent bien sûr Valérie Pécresse et Emmanuel Macron (avec qui l’osmose est parfaite), n’auront aucun mal à s’accommoder d’un exécutif d’extrême-droite tout à fait ignorant des réalités macro-économiques. De ce point de vue, le ralliement à Reconquête! des figures historiques de Via (ex-Parti Chrétien Démocrate), Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin, est particulièrement pathétique, et confirme – s’il était besoin – que leur critique du libéralisme économique n’était que de façade. Voir: « Révélations sur les grands donateurs de la campagne d’Éric Zemmour », Mediapart, 20 janvier 2022. « Marine Le Pen passe un grand oral devant des chefs d’entreprise », Le Monde, 27 janvier 2022. (retour)
6 On peut en tout cas relever que ce qui prévaut dans ces déclarations, c’est une ultra-rigidité revendiquée, qui est ici pensée comme la meilleure (et la seule) arme pour combattre l’indifférentisme du camp d’en face, et mobiliser un électorat qui ne pense plus la politique qu’à travers ce prisme. Cette stratégie conduit surtout à radicaliser les deux camps dans des positions parfaitement déconnectées de la réalité : ainsi apparaît une génération pro-vie toujours tout à fait caricaturale dans son combat pour l’abolition de l’avortement ; et en face, on trouve des parlementaires EELV pour demander la suppression de la clause de conscience qui protège les médecins de faire des actes qu’ils jugeraient moralement répréhensibles. (retour)
7 « Mgr Rougé : Il n’y a pas de vote catholique, mais des catholiques qui votent », Valeurs actuelles, 11 mars 2022. Ce genre de propos semble s’appuyer sur la prémisse que le champ politique est, au fond, équilibré. Ainsi, dans la mesure la droite et la gauche portent l’une et l’autre des combats nobles du point de vue de la doctrine sociale (par exemple, les questions bioéthiques d’un côté, l’accueil des réfugiés de l’autre), tout en la contredisant sur d’autres (méfiance vis-à-vis des étrangers d’un côté, indifférence pour les questions bioéthiques de l’autre), l’institution pourrait (en théorie) se prévaloir d’un certain centrisme, vite transformé en surplomb : « nous sommes au-dessus de la mêlée, et au fond ce n’est pas étonnant : notre vocation est d’abord d’ordre spirituel » – ce qui signifie implicitement « et pas d’ordre politique ». (retour)
8 En apostrophant ainsi les évêques nous n’entendons pas reconduire une énième forme du cléricalisme – bien au contraire: ce texte se veut justement l’expression du sensus fidei de laïcs qui tentent de discerner les signes des temps. Nous souhaitons simplement souligner que dans les formes du droit canon héritées du concile Vatican II (qu’il faudrait discuter et rafraîchir sur bien des points), les évêques sont, après le pape, au sommet de la hiérarchie ecclésiale, qu’on le veuille ou non – et qu’en ce sens, leur parole engage la communauté chrétienne. Ce qui n’implique pas que celle-ci reste passive: dans un contexte où la frontière entre sachants et non-sachants s’est considérablement estompée (et où les prêtres et les évêques ne sont plus forcément les meilleurs spécialistes de l’histoire de l’Église, de la théologie, ou de la vie des idées), l’élaboration des normes qui guident la vie ecclésiale doit devenir le fruit d’une réflexion commune, où les éventuels désaccords sont explicités et apportés à la discussion critique plutôt que mis sous le tapis. (retour)
9 Soulignons qu’en retour, entretenir les passions identitaires est un moyen tout à fait efficace pour distraire l’opinion publique pendant que l’on fait passer en force les pires « réformes » socio-économiques (baisse de la fiscalité pour les plus aisés, crédits d’impôts divers aux entreprises, flexibilisation du marché du travail, privatisation du système de santé, etc.) qui, mises bout à bout, donnent sa consistance à la révolution néolibérale. Pendant que les plus aisés continuent de s’enrichir, on expliquera alors à une population toujours plus exsangue que les migrants volent le travail des honnêtes citoyens, que les pauvres gens au RSA sont, d’entre tous, les véritables parasites sociaux. À ce propos, faisons ici une modeste proposition: celle d’appeler pour ce qu’ils sont les Xavier Niel, Bernard Arnault, Emmanuel Besnier, Yves Le Masne, Vincent Bolloré (etc.) de notre beau pays; non pas des milliardaires, mais bien des oligarques. Pourquoi, après tout, ce terme serait-il réservé aux citoyens russes? Nous sommes chrétiens, et pas plus que d’autres ces hommes fortunés ne méritent notre haine. Mais parce que leur propriété privée est tout sauf mise au service de la destination universelle des biens, ils mériteraient d’être spoliés sans attendre de tout ce qu’ils possèdent. Ils n’en seraient, à coup sûr, que plus heureux! François Ruffin fait peut-être preuve d’ironie lorsqu’il dit qu’il veut « aider Bernard Arnault à trouver le sens de sa vie », mais il exprime aussi une intuition chrétienne des plus élémentaires, qui nous est livrée (entre autres) dans la parabole du jeune homme riche. (retour)
10 Sébastien Fath, « L’Église contre le Christ ? Eric Zemmour, politique identitaire et christianisme », 3 mars 2022 (retour)
11 Titre d’un ouvrage du philosophe Cornelius Castoriadis (La montée de l’insignifiance, Paris, Points Seuil, 2007), discuté par Sylvain Piron dans Généalogie de la morale économique (Bruxelles, Zones Sensibles, 2020, pp. 30-31). (retour)
12 « Mgr de Moulins-Beaufort : Les valeurs chrétiennes sont moins à défendre qu’à choisir », La Croix, 18 janvier 2022. (retour)